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L’évolution des entérocoques résistants à la vancomycine en Belgique

Frank Van Laer - Infirmier hygiéniste hospitalier, Universitair Ziekenhuis Antwerpen Veerle Matheeussen - Membre de l’équipe senior labo microbiologie, Universitair Ziekenhuis Antwerpen

Introduction 

La surveillance des entérocoques résistants aux glycopeptides (vancomycine, teicoplanine) et aux oxazolidinones (linelozid) a été instaurée conjointement par Sciensano et par le Centre national de Référence (CNR) des entérocoques en 2014 suite à la survenue de plusieurs épidémies de VRE dans les hôpitaux belges. Depuis 2015, un AR (8/1/2015) a fixé les conditions de participation à la surveillance des bactéries multi-résistantes en Belgique; celle-ci est obligatoire pour les bacilles à gram-négatifs multi-résistants (BGN-MR) et pour les Staphylocoques dorés résistants à la méticilline (MRSA), mais elle est optionnelle pour les entérocoques résistants à la vancomycine (VRE). 

En 2015, l’agence de soins de santé des autorités flamandes « Agentschap Zorg en Gezondheid » publiait une alerte en raison d’une augmentation des épidémies à entérocoques résistants à la vancomycine (VRE) en Belgique. Parmi les services concernés, il y avait notamment les soins intensifs, la gériatrie, l’hémato-oncologie et l’hémodialyse. Lors des trois premiers mois de 2015, le CNR des entérocoques a reçu un nombre accru d’isolats provenant de plusieurs hôpitaux, dont quelques-uns se trouvaient en situation épidémique. Cependant, jusqu’en 2013, seul un nombre limité de cas de VRE étaient signalés en Belgique. Les épidémies à VRE dans les hôpitaux étaient également très rares (1). 

Cet article entend faire le point sur l’épidémiologie des VRE en Belgique, sur la base des données disponibles actualisées. 

Sources consultées

Les sources suivantes, disponibles depuis 2013 ont été consultées :

• Les données du centre européen de contrôle des maladies (ECDC), réseau de surveillance EARS-Net (European Antimicrobial Resistance Surveillance Network) (période 2013-2020).
• Les données du protocole de surveillance EARS-Net Belgium (EARS-BE) (période 2017-2019);
• Les rapports annuels du service « Infections liées aux soins et antibiorésistance » de Sciensano concernant la surveillance nationale des bactéries résistantes aux antimicrobiens dans les hôpitaux belges (période 2014-2018) ;
• Les rapports de feed-back « Surveillance of antimicrobial resistant bacteria in Belgian hospitals » (période 2014- 2020) ;
• Les données d’enregistrement du centre national de référence pour entérocoques (période 2013-2021).

Résultats 

a) EARS-Net (2)
Les données de la surveillance EARS-Net reposent exclusivement sur des isolats invasifs (sang ou liquide céphalorachidien). Cette limitation permet d’éviter les incohérences découlant des différences au niveau de la définition clinique des cas, des différences locales au niveau des stratégies de prélèvement d’échantillons,  etc. Les isolats d’autres sites anatomiques, comme les prélèvements urinaires et de plaies, pourraient influencer l’analyse des données, s’agissant de facteurs de confusion. A noter que cette surveillance ne donne par ailleurs aucune information sur les taux d’incidence de colonisation (portage asymptomatique intestinal) qui chez VRE prédomine largement par rapport au taux d’infection (on estime globalement que chez VRE le rapport moyen de cas de colonisation vs infection étant de l’ordre de 10/1). 

EARS-Net encourage l’utilisation des seuils limites de sensibilité et de résistance EUCAST, mais les résultats reposant sur d’autres critères d’interprétation étaient jusqu’à présent également acceptés pour l’analyse.
NB : depuis 2019, la proportion des laboratoires belges qui suivent les directives de l’EUCAST pour l’interprétation des résultats de l’antibiogramme est supérieure à 90%. A noter que l’ECDC n’accepte plus depuis 2020 la participation à l’étude de surveillance EARS-Net de pays dont la proportion des laboratoires compliants aux recommandations de l’EUCAST est inférieure à 90%

Le graphique 1 indique l’évolution de la résistance à la vancomycine chez E. faecium et chez E. faecalis.

Ce graphique illustre que la proportion de VRE est toujours nettement supérieure chez E. faecium par rapport à E. faecalis, seule la première de ces espèces constitue un véritable problème de santé publique. A cet égard il y a lieu de noter que depuis 2020 au niveau Européen, le programme conjoint de surveillance de la résistance aux agents antimicrobiens ECDC-WHO ne considère plus que l’espèce E. faecium pour la résistance à la vancomycine.
Les fluctuations de proportion de VRE dans les prélèvements invasifs (essentiellement hémocultures) ne sont pas significativement différentes sur la période 2016-2020. Les variations observées autours de pourcentages bas (valeur max de 5.5% en 2017) reflètent vraisemblablement en grande partie la faible participation à cette surveillance (+/-25 hôpitaux sur 102 en Belgique) et par conséquents les nombres faibles d’isolats invasifs (de l’ordre de 300 à 400 par an selon les années).

Graphique 1 : Évolution de la résistance d’Enterococcus species en Belgique (EARS-Net)

 

 

 

 

 

 

b) European antimicrobial resistance surveillance for Belgium (EARS-BE) (3)

La surveillance EARS-BE diverge de EARS-NET uniquement par la collecte supplémentaire de données concernant la sensibilité antimicrobienne d’isolats urinaires (en plus de ceux qui proviennent du sang et de liquide céphalorachidien). Cette surveillance a été initiée en 2017. Les résultats du graphique 2 concernent les données fournies par les laboratoires des hôpitaux. Les données EARS-BE des isolats provenant du sang et de liquide céphalorachidien sont incluses dans les rapports ECDC annuels comportant les résultats pour la Belgique (graphique 1)
En 2019, on note une augmentation de la proportion de VRE (E. faecium) dans les isolats urinaires par rapport aux deux années précédentes.
A noter que des isolats de VRE (E. faecium) ont été détectés à partir de prélèvements urinaires dans 11 hôpitaux sur 23 (42%) qui participaient à la surveillance EARS-BE en 2019 

Graphique 2 : Évolution de la résistance d’Enterococcus species en Belgique (EARS- BE)

 

 

 

 

 

 

c) Surveillance nationale des bactéries résistantes aux antimicrobiens dans les hôpitaux belges (4)

En 2014, 46 hôpitaux belges participaient pour la première fois à la surveillance optionnelle des entérocoques résistants : 40 hôpitaux aigus et 6 chroniques. Parmi les hôpitaux participants, 31 (67,4 %) utilisaient les critères EUCAST et 15 (32,6) % utilisaient les critères CLSI pour déterminer les seuils limites de sensibilité et de résistance des entérocoques. Au vu du nombre limité de participants à cette surveillance, ces résultats n’ont alors pas pu être considérés comme représentatifs pour les différentes régions ou par type d’hôpital (hôpitaux universitaires versus non universitaires). Les résultats de 2014 sont dès lors à interpréter avec prudence.

Depuis 2015, la surveillance des VRE fait partie de l’un des quatre protocoles complémentaires où, dans le cadre de la « surveillance des infections nosocomiales », il est obligatoire de faire un choix. Les trois autres protocoles optionnels de surveillance portent sur Clostridium difficile, les pneumonies et bactériemies en soins intensifs et les infections de plaies opératoires. Ceci explique peut-être qu’en 2018, la participation des hôpitaux est passée à 109 hôpitaux aigus et qu’elle inclut également celle de 9 institutions de soins chroniques.

Pour l’analyse, il est uniquement tenu compte des VRE isolés au départ d’échantillons cliniques.
Il s’agit dans cette surveillance de données agrégées obtenus à partir de prélèvements cliniques (tous sites confondus à l’exclusion des selles et des prélèvements de dépistage du portage asymptomatique).
Les données de résistance sont représentées de deux manières : d’une part la résistance brute (graphique 3) et d’autre part la moyenne de la résistance (graphique 4). Pour obtenir la résistance brute exprimée en %, on divise le nombre total des entérocoques résistants par le total du nombre d’entérocoques et on le multiplie ensuite par 100. 
Pour obtenir la moyenne des résistances exprimée en %, on additionne les chiffres de résistance des différents hôpitaux pour ensuite diviser ce total par le nombre d’hôpitaux.

Graphique 3 : Évolution du taux brut de résistance des entérocoques à la vancomycine dans les hôpitaux aigus belges 

 

 

 

 

 

 

 

Graphique 4 : Évolution du taux moyen de résistance des entérocoques à la vancomycine dans les hôpitaux aigus belges

 

 

 

 

 

 

Dans le cadre de cette surveillance, il a également été demandé aux hôpitaux participants de rapporter le nombre d’épidémies à VRE ainsi que le nombre de patients impliqués annuellement sur les périodes considérées (4) (tableau 1).

Tableau 1 : Évolution du nombre d’épidémies à VRE, rapportées dans le cadre de la surveillance nationale dans les hôpitaux aigus belges (période 2014-2018)

 

 

 

 

Une épidémie à VRE a été rapportée par 13 hôpitaux aigus sur les 109 (11,9 %) qui participaient à la surveillance des VRE en 2018.
Au total, 28 foyers (clusters) épidémiques ont été rapportés et 164 patients ont été affectés (min.-max. : 3-57). Parmi ceux-ci, 19 (11,6 %) présentaient une infection. La majorité des patients (80 %) étaient porteurs asymptomatiques. Le tableau 1 présente l’évolution du nombre d’épidémies à VRE rapportées dans le cadre de cette surveillance.

d) Le centre national de référence pour entérocoques(6)
Le CNR des entérocoques est l’un des trois centres de référence (avec le CNR des staphylocoques et le CNR des bactéries à gram-négatif multirésistantes) qui participent (avec le service d’épidémiologie de Sciensano) au programme de surveillance des bactéries multirésistantes dans les hôpitaux belges. Les représentants de ces trois CNR siègent également en tant qu’expert dans leur domaine respectif dans la commission technique MDRO (CT-MDRO) ainsi que dans le comité national de l’antibiogramme (NAC)
Les données suivantes proviennent directement du CNR des entérocoques.
Le graphique 4 indique le nombre de souches VRE reçues par le centre national de référence des entérocoques pendant la période comprise entre janvier 2013 et novembre 2021 inclus. 

Graphique 5 : Nombre de souches VRE reçues par le centre national de référence des entérocoques pendant la période entre janvier 2013 et novembre 2021 inclus

Discussion  

 

 

 

 

 

 

Bien que la surveillance des VRE ne soit pas obligatoire en Belgique, on observe cependant un taux de participation croissant depuis 2015. Sur la base des notifications par les hôpitaux, on peut dire qu’en 2016, la plupart des patients étaient impliqués dans des épidémies de VRE (n= 247). Ceci concorde bien avec le nombre d’isolats de VRE envoyés au CNR qui était le plus élevé (près de 450 souches envoyées) pour cette même année 2016. Ceci est également corrélé avec le taux de résistance brute de E. faecium à la vancomycine la même année. La surveillance EARS-Net montre surtout pour E. faecium une résistance accrue en 2017. Les surveillances EARS-Net et EARS-Net BE ne portent que sur un nombre restreint d’hôpitaux (25-30 hôpiraux en moyenne et pas toujours les mêmes d’une année à l’autre) et les données EARS Net en particulier relatives aux isolats invasifs (septicémes /bactériemies) sont limitées en nombre (en moyenne 300-400 VRE E. faecium/an). Ceci explique les fluctuations observées des taux de résistance en % (valeurs basses) mais qui ne montre pas d’évolution significative au cours du temps.

A noter que la contribution des E. faecalis aux VRE est très marginale et que depuis 2019, seule l’espèce E. faecium est prise en considération dans le programme de surveillance nationale belge (à l’instar du programme de surveillance EARS-Net de l’ECDC).

Les données de surveillance en Europe (ECDC-WHO, rapport pour l’année 2020 publié en 2022) montrent un taux moyen de résistance de E. faecium à la vancomycine de 16.8% en Europe en 2020 (en augmentation significative depuis 2016, année pendant laquelle le taux moyen de VRE (E. faecium était de 11.6%. A noter également que les écarts sont très grands selon les pays (0 % à 57%) et que seuls 11 pays (dont la Belgique) sur 29 des pays Européens qui participent à la surveillance (EU/EEA) rapportaient des taux de résistance inférieurs à 5%.

En 2018, on assiste à une nouvelle hausse principalement du taux moyen de résistance et en moindre mesure du taux brut de résistance dans le protocole de surveillance nationale. C’est également en 2018 que le nombre le plus élevé d’épidémies a été constaté (n=28). Les données EARS-Net font par contre état d’une diminution de la résistance à la vancomycine de
E. faecalis et E. faecium. À partir de 2018 également, on assiste à une tendance clairement baissière du nombre de souches VRE reçues par le CNR.

Conclusion  

En raison des différences méthodologiques des différents programmes de surveillance, les données disponibles concernant les VRE en Belgique sont difficilement comparables. On peut en conclure que c’est essentiellement entre 2016 et 2018 que la problématique des VRE s’est accrue vraisemblablement à la faveur d’épidémies survenues dans un plus grand nombre d’hôpitaux. 
Il ne semble cependant pas y avoir de tendance nette dans l’épidémiologie des VRE en Belgique au cours des dernières années (plutôt des fluctuations selon les années)

Pour la période postérieure à 2018, on peut se baser sur les chiffres de référence moyens des VRE dans le cadre de la surveillance nationale; ceux-ci montrent qu’après 2018on a assisté à une nouvelle diminution des taux de VRE et à une stabilisation en 2020. À partir de 2018 également, on assiste à une tendance à la baisse du nombre de souches VRE reçues par le CNR.

Références

1- Agentschap zorg en gezondheid, Wetenschappelijk Instituut Volksgezondheid. Toename van het aantal uitbraken met vancomycine resistente enterokokken (VRE) in ziekenhuizen in België. VRE alert oktober 2015/21.10.2015.

2- European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC). European Antimicrobial Resistance Surveillance Network (EARS-Net). Surveillance Atlas of Infectious Diseases (europa.eu) 

3- Sciensano.  European antimicrobial resistance surveillance for Belgium (EARS-BE) https://www.wiv-isp.be/nsih/surv_ears/reports_nl.asp

4- Sciensano. Volksgezondheid & Surveillance. Zorginfecties & Antimicrobiële Resistentie (NSIH). Nationale surveillance van antimicrobiële resistentie (AMR). https://www.wiv-isp.be/nsih/surv_amr/download_nl.asp 

5- Sciensano. Surveillance of antimicrobial resistant bacteria in Belgian hospitals. Report 2018.

https://www.sciensano.be/sites/default/files/rapport_amr_y2018_final.pdf

6- Sciensano. National reference center for Enterococci. https://nrchm.wiv-isp.be/nl/ref_centra_labo/enterococci/Rapporten/Forms/AllItems.aspx

7- Rapport de surveillance en Europe (ECDC-WHO) pour l’année 2020 publié en 2022 : https://www.euro.who.int/en/health-topics/disease-prevention/antimicrobial-resistance/news/news/2022/01/whoecdc-report-antimicrobial-resistance-remains-threat-to-health-in-european-region
BAPCOC. Global Point Prevalence Survey of Antimicrobial Consumption and Resistance 2019.

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