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Enquête sur l’impact de la covid-19 sur l’organisation et le travail des équipes de prévention des infections en Belgique

Hilde Jansens - Chef de Clinique en Hygiène Hospitalière et en Microbliologie Médicale et coordinatrice du projet HOST, Helix Anvers Martine Mul - UZA Antwerpen, Coordinatrice et expert dans la prévention des infections

Entre mai et octobre 2021, une enquête en 10 questions ouvertes a été menée à l’initiative de la Belgian Infection Control Society (BICS) et de la plate-forme régionale d’hygiène hospitalière de la Province d’Anvers auprès des équipes de prévention et de contrôle des infections (PCI) belges afin d’évaluer l’impact de la pandémie de covid-19 sur leur fonctionnement.

Voici les 10 questions qui ont été posées :

1.Quel a été/est l’impact du COVID sur votre travail ?
2.Avez-vous dû prendre en charge de nouvelles tâches ?
3.Est-ce que certaines tâches ont été modifiées ? 
4.De nouveaux collaborateurs ont-ils été engagés dans l’équipe PCI ?
5.Quels ont été ou quels sont les principaux problèmes que vous avez rencontrés pour maîtriser la pandémie ?
6.Le service de médecine du travail vous a-t-il apporté un soutien suffisant dans le suivi des infections parmi les membres du personnel ? 
7.Y a-t-il eu un soutien des médecins hospitaliers et de la direction pour fermer temporairement les services ?
8.Qui a effectué le travail de recherche et de traçabilité des contacts au sein de l’hôpital?
9.Pensez-vous qu’une instance responsable comme l’Agence pour un Vie de Qualité (AVIQ) peut apporter une plus-value en matière d’accompagnement ?
10.D’autres commentaires/questions/idées ?

Au total, 35 enquêtes ont été complétées. Les résultats indiquent clairement que les équipes de PCI et leurs collaborateurs ont été profondément affectés pendant la pandémie et font également état des nombreux problèmes rencontrés dans l’organisation et dans le fonctionnement des équipes de PCI dans notre pays. 

La COVID-19 a induit une énorme charge de travail sur les collaborateurs des équipes de PCI et a eu un impact considérable sur leur organisation de travail. En effet, leur travail habituel a été totalement relégué au second plan, et certaines tâches essentielles telles que la surveillance, les enregistrements, les audits et les formations n’ont soit pu avoir lieu ou se sont déroulées dans des conditions clairement suboptimales. 

Alors qu’au début de la pandémie, dans un climat de grande angoisse face à l’inconnue de cette nouvelle maladie infectieuse les mesures d’hygiène des mains et les recommandations relatives au port des équipements de protection individuelle (EPI) étaient globalement bien appliquées, leur observance a rapidement connu un déclin après la phase aiguë. Cette tendance a été accentuée par le fait de recommandations et directives contradictoires émanant des pouvoirs publics et d’« experts », avec comme corollaire une remise en question de la crédibilité de l’équipe de PCI et de grandes difficultés dans la mise en application et le suivi des directives.
Le volet émotionnel- (tant chez les collaborateurs que chez les visiteurs et chez les patients) a constitué une source de stress supplémentaire.

À la question de savoir si des tâches se sont ajoutées, la majorité a répondu de manière affirmative. En ce qui concerne les équipements de protection individuelle, il fallait en examiner la qualité, établir des procédures, assurer des programmes de formation du personnel, suivre les normes et certificats du matériel et des équipements proposés. En cas de pénurie de matériel, il fallait rechercher des alternatives et notamment définir les conditions de réutilisation du matériel. L’équipe de PCI a également été impliquée très largement dans l’élaboration des stratégies pour les collaborateurs dans le cadre de la COVID-19, ainsi que dans de nombreux autres domaines tels que le diagnostic (testing), la quarantaine, le suivi des contacts ou la vaccination. S’y sont encore ajoutées la gestion locale de l’épidémie, la politique d’isolement, les procédures et formations liées à la COVID-19 ainsi que la participation à la cellule de crise. Vis-à-vis de l’extérieur, l’équipe PCI est devenue le point de contact de la première ligne pour toutes les questions et demandes d’avis (centres de vie et de soins, questions concernant les sans-abris, autres collectivités, etc.) et c’est également elle qui a assuré la livraison du matériel (EPI et tests). Souvent, elle a participé à des visites organisées localement afin de pouvoir offrir un soutien efficace et elle a aussi été impliquée dans le suivi de résultats des tests lorsque ceux-ci étaient réalisés à l’hôpital.  L’accessibilité d’un service de garde permanent 7 jours sur 7 s’est ajouté pour certaines équipes de PCI.

À la question de savoir si des tâches avaient changé, la réponse globale a été que le champ d’action s’est tellement étendu, qu’un nombre conséquent de tâches n’ont pu être effectuées, comme par exemple la surveillance, le suivi des procédures de soins, etc…

En dépit de cette hausse considérable de la charge de travail, moins de la moitié des personnes interrogées ont rapporté avoir bénéficier d’un renforcement des effectifs de l’équipe. Par ailleurs, lorsque des renforts ont été octroyés ceux-ci ont eu lieu surtout lors de la première vague et la période de confinement total, lorsque des personnes dont les tâches normales ont été suspendues ont pu apporter leur aide,
(par ex.: collaborateurs administratifs, collaborateurs qualité, etc.).  Après la première phase, ces personnes ont repris leur fonction dans leur secteur habituel d’activité, alors que la pression au travail restait encore extrêmement élevée pour les équipes de PCI. Pour le groupe de personnes interrogées n’ayant pas bénéficié d’une extension de l’équipe, aucun remplacement des personnes en maladie de longue durée ou mises à la retraite n’était même prévu. Dans la majorité des hôpitaux, le surcroît de travail a été compensé par un nombre élevé d’heures supplémentaires prestés par les collaborateurs, ce qui a eu un effet défavorable dans le cadre de prévention du burn-out en cette période difficile. Dans certains cas, des bénévoles ont été sollicités notamment parmi des collaborateurs pensionnés qui sont temporairement revenus travailler.

À la question de savoir quel était les principaux problèmes rencontrés, les facteurs suivants ont été le plus fréquemment rapportés : grande fragilité émotionnelle tant chez les collaborateurs que chez les patients et les visiteurs, crises, incertitude, sentiment d’insécurité et attitude laxiste face aux procédures à suivre. L’ensemble des ces éléments a contribué a rendre les conditions de travail encore plus pénibles.
En deuxième lieu, la pénurie de matériel pendant la première vague, a clairement laissé des traces. Qu’il s’agisse du manque d’EPI ou de tests diagnostiques, cette pénurie a été à l’origine de l’utilisation et la recherche constante d’alternatives et de l’adaptation des procédures et des formations, ce qui a demandé énormément de temps. En troisième lieu, les directives étaient souvent considérées comme manquant de clarté et de précision ou soit qu’elles n’étaient pas adaptées à certains contextes de soins spécifiques  (p.ex : la psychiatrie, les soins aux jeunes, etc.). En outre, les mises à jour continuelles des directives (souvent publiées le vendredi après-midi) ont été source de nombreux problèmes au niveau de leur interprétation et leur mise en application. La phase suivant la première vague et le premier confinement a généré une pression supplémentaire, car nombre de médecins et services ont voulu reprendre trop rapidement leur activité, et l’aide de la direction et des pouvoirs publics s’est avérée cruciale à cet égard. 

Des données similaires ont été publiées dans une récente publication en (Rebmann et al.), concernant un sondage mené auprès de 75 équipes de PCI aux Etats-Unis à propos des défis rencontrés pendant la pandémie de covid-19. Leur top 6 s’établissait de la manière suivante :
• Recommandations multiples (changements fréquents et contenus contradicatoires)
•Pénurie en équipement de protection individuelle (EPI)
•Mauvaise observance du personnel de soins vis-à-vis du port des EPI et dans l’application des protocoles de prévention des infections
•Augmentation de la charge de travail
•Augmentation du nombre d’infections liées aux soins 
•Manque de recommandations au niveau des établissements de soins chroniques ou de soins spécialisés 

La question relative au soutien apporté par la médecine du travail a fait l’objet d’une réponse négative pour la majorité des personnes interrogées. La réponse semblait être liée à la présence de ce service au sein même de l’institution ou bien à sa dépendance d’une société externe et sa localisation dehors du site. Dans ce dernier cas de figure, la médecine du travail n’était souvent pas joignable et le suivi plus rapidement initié par l’équipe de PCI. Dans certains cas,  le service externe était déjà submergé par les problèmes d’autres clients. Plus rarement (16 %), la collaboration avec la médecine du travail a été considérée comme bonne et utile, même si l’on sollicitait encore souvent l’équipe de PCI pour élaborer les procédures dans le cadre de la gestion de la COVID-19 par la médecine du travail.

Une problématique qui se retrouve également dans la question concernant les personnes impliquées dans le suivi des contacts. Celui-ci était, dans pratiquement tous les cas, assuré par l’équipe ICP, complétée par une aide supplémentaire de la part d’autres services comme le laboratoire de microbiologie, la direction médicale, la direction infirmière, les infirmiers en chef, le service de prévention interne, le service qualité, le coordinateur du plan d’urgence, etc.

Le soutien de la direction et des médecins a été estimé suffisant pour mettre en œuvre la réduction du nombre de lits pendant la phase initiale de la pandémie. Mais la pression pour le redémarrage était très forte, surtout dans les hôpitaux où les médecins ne travaillent pas comme salariés.

À la question concernant la plus-value des agences compétentes dans le domaine de la Santé en Belgique (Agentschap Zorg en Gezondheid en Flandre, Agence pour une Vie de Qualité en fédération Wallonie-Bruxelles) les réponses étaient très variées. Un petit groupe ne voit aucune plus-value pour leur hôpital, car ils estiment avoir une meilleure connaissance du contexte local et sont donc plus rapidement en mesure de réagir à des problèmes comme des épidémies et peuvent travailler plus rapidement au suivi des contacts. Par contre, ce groupe précise que l’appui des agences de santé pourrait s’avérer utile lorsqu’aucune équipe de PCI n’est présente au sein de l’institution. Pour la majorité des personnes interrogées, la collaboration avec les agences de Santé a été jugée positivement et le support, la réflexion et l’aide apportée ont été globalement très appréciés. Des opportunités ont également été identifiées concernant la mise à disposition via les agences de Santé d’outils pour l’enregistrement et la gestion d’épidémies (p.ex: GO DATA de l’OMS), le suivi et l’envoi de normes pour les EPI, l’élaboration de directives et de moyens de formation pour l’utilisation de ces EPI. D’autres points potentiellement utiles concernent la suppression des enregistrements estimés inutiles et générant un surcroît de travail en période de pandémie (par ex. enregistrement de patients ambulants aux urgences). 

Nous arrivons ainsi à la dernière question ouverte, dans laquelle plusieurs thèmes additionnels ont été abordés. En matière de prévention et de contrôle des infections en Belgique, les structures restent peu claires et on ne sait pas vraiment quelles sont les responsabilités qui incombent à la prévention des infections/l’hygiène hospitalière. Sont impliqués en la matière les politiques au niveau fédéral et régional, les plateformes fédérales et régionales pour l’hygiène hospitalière, Sciensano, le Conseil Supérieur de la Santé et le la Belgian Infection Control Society (BICS). Mais les tâches de ces groupes ne sont pas toujours claires ni bien coordonnées et ceci a entraîné à certains moments de la pandémie à la formulation d’avis contradictoires concernant notamment les masques, les tests, l’isolement, la vaccination, etc. La pression liée à l’enregistrement a augmenté au lieu de diminuer avec les enregistrements nouveaux et supplémentaires, sans feed-back ou avec des feed-back tardifs de Sciensano. La pression entourant le matériel de protection était également très importante, et l’achat et la distribution de matériel auraient de préférence dû être abordés à l’échelle nationale, tout comme une possible réutilisation. Les assouplissements précoces introduits dans la société, malgré une pression de travail qui restait encore très élevée dans les hôpitaux, ont également constitué un stress psychologique important pour les travailleurs hospitaliers et certainement pour l’équipe de PCI qui s’est souvent sentie fort isolée et peu soutenue pendant cette pandémie.

Conclusion

La nécessité d’intégrer la prévention des infections et la lutte contre les infections dans l’ensemble des soins de santé est devenue une évidence après cette pandémie. Des stratégies sont nécessaires à tous les niveaux des soins (première ligne, hôpitaux, collectivités, etc.) avec des actions, directives et stratégies sur mesure pour la détection précoce et la gestion des infections. Afin de rendre ceci possible, il est primordial qu’une structure claire soit établie en matière de prévention et de lutte contre les infections, cette compétence étant actuellement morcelée entre différentes instances compétentes. Le fonctionnement des différentes instances et communautés (fédéral, régional, provincial) et organes (CSS, Sciensano, BAPCOC, BICS, plateforme hygiène hospitalière) qui s’occupent de la prévention des infections n’est pas clair et de meilleures conventions sont nécessaires à ce niveau.

Une communication efficace, avec l’établissement de procédures et de programme d’éducation est cruciale et les canaux y afférents doivent déjà être préparés maintenant, en vue d’une prochaine pandémie. 

L’instauration d’une politique rationnelle et durable en matière d’équipement, avec possibilité de réutilisation de matériaux et de production locale pourraient permettre lors d’une prochaine pandémie d’éviter le risque de pénurie de matériel et d’équipement de protection.

L’hygiène hospitalière ou la PCI a été le point de contact pour de nombreuses questions et/ou problèmes et a été impliquée dans de nombreux domaines : formations, communication, établissement de procédures et d’avis lors d’achat d’EPI, une tâche qui incombe normalement au service de prévention. Nombre de nouvelles tâches qui se sont ajoutées pour les équipes de PCI avaient trait à des tâches qui normalement relèvent de la médecine du travail (service de prévention interne). C’était plus souvent le cas lorsque ce service n’était pas interne, mais assuré par des sociétés externes. Il s’agissait du suivi des contacts, de la vaccination et du screening des collaborateurs, ainsi que de la politique d’achat de matériaux de protection. Une éventuelle recommandation pourrait donc être d’obliger les hôpitaux à garder les services de prévention en interne.

L’équipe de PCI, même lorsqu’elle ne faisait pas partie de la cellule de crise dans de nombreux hôpitaux, a été consultée pour les décisions de crise, raison pour laquelle intégrer la PI dans la cellule de crise de l’hôpital constituerait aussi une recommandation pour l’avenir.

Il ressort également de ce sondage que l’encadrement des équipes de PCI dans les hôpitaux, mais aussi dans les collectivités, est insuffisant, et ce, tant pour le personnel infirmier que pour les autres encadrements (IT, secrétariat, etc.). Il est dès lors évident qu’avec l’effectif actuel en charge de la prévention des infections dans les institutions de soins, il était impossible de fonctionner normalement et nombre de tâches essentielles comme la surveillance et les enregistrements n’ont plus pu être exécutés. Pour rendre tout cela possible lors d’une prochaine pandémie, il est clair qu’un refinancement de la prévention des infections dans les organismes de soins est nécessaire, afin qu’une main-d’œuvre suffisante soit présente pour l’exécution correcte de toutes les tâches.

Ce point est déjà apparu à plusieurs reprises par le passé dans des recommandations d’audits externes (ECDC, JCI, NIAZ, etc.). La Belgique est en net retard par rapport au nombre minimum de collaborateurs recommandés pour la PCI afin de pouvoir garantir les objectifs qualitatifs et quantitatifs en termes de prévention des infections dans les organismes de soins belges. Avec le démarrage du projet HOST par le SPF santé publique, une première amorce pourra être donnée à l’accroissement des ressources pour la PI dans les hôpitaux et indirectement dans les collectivités, mais reste également encore à voir si cela suffira étant donné que ce projet, en plus de ressources supplémentaires, inclut également des tâches supplémentaires.

Référence

Rebmann T., Alvino R.T, Mazzara R.L., Sandcork 
J. Infection preventionists’ experiences during the first nine months of the COVID-19 pandemic: Findings from focus groups conducted with Association of Professionals in Infection Control & Epidemiology (APIC) members. Am J Infect Control. 2021 Sep;49(9):1093-1098. 

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