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Avis sur la prévention des infections lors de la construction d’un nouveau bloc médico-technique

Nicole Verbraeken - infirmières en hygiène hospitalière UZ Brussel Lieve Blommaert - infirmière en hygiène hospitalière UZ Brussel

Introduction 

La contamination de l’environnement de soins joue un rôle majeur en tant que réservoir et vecteur de transmission de pathogènes nosocomiaux à gram-négatif, notamment les entérobactéries productrices de carbapénèmase (EPC ou CPE) et Pseudomonas aeruginosa. Compte tenu de l’augmentation de l’incidence de ces bactéries multi-résistantes chez les patients hospitalisés, et tout particulièrement dans les services de soins intensifs, il est recommandé de limiter au maximum la présence de réservoirs potentiels dans l’environnement de soins.

L’avis de l’équipe hygiène hospitalière a dès lors été demandé lors de la conception d’un nouveau bloc médico-technique avec ICU (unité de soins intensifs) et plateau interventionnel. Sur la base de la littérature disponible et en concertation avec les services concernés et le service technique, différentes solutions et aménagements possibles ont été proposés. 

Discussion

Lave-mains

Les lave-mains représentent un premier réservoir important de bacilles à gram-négatif (BGN). Dans le cadre de la stratégie conventionnelle de l’hygiène de mains et des soins aux patients, on en retrouve dans chaque chambre de patient. Même si la proximité de lave-mains par rapport au patient a longtemps été considérée comme «meilleure pratique», ceux-ci représentent un environnement idéal pour la survie et pour la croissance de BGN.
Ils ont été reconnus depuis plusieurs années comme étant à l’origine d’épidémies ainsi que de leur persistance prolongée dans un contexte endémique. Ce dernier point a été très clairement objectivé dans l’unité de soins intensifs de notre hôpital (De Geyter 2017). 
Dans l’intervalle, la désinfection des mains est devenue la norme par excellence pour l’hygiène des mains et, d’autre part, la limitation de points d’eau est également devenue une exigence dans le cadre du plan de gestion de la légionellose.
Le fait que des fluides corporels contenant des antibiotiques se retrouvent régulièrement dans les évacuations favorise la formation de biofilms dans les canalisations et la sélection de souches multirésistantes. La désinfection chimique des siphons ou leur remplacement ne permettent d’obtenir au mieux qu’un effet temporaire (Carling 2018). Les éclaboussures peuvent contaminer les zones autour du lave-mains (jusque dans un rayon de 2 mètres) ainsi que les mains des prestataires de soins. En outre, les lave-mains sont souvent utilisés pour nettoyer des ustensiles ou du matériel médical réutilisable chez un patient.
Le retrait des lave-mains de la chambre du patient est donc une première exigence. L’idée de soins sans eau suscite cependant encore souvent des réticences et doit clairement faire l’objet d’une promotion plus soutenue auprès des prestataires de soins. Il existe actuellement suffisamment d’alternatives sur le marché : gants de toilette imprégnés jetables (avec ou sans produit désinfectant), charlotte pour shampoing sec (sans rinçage), tondeuses avec tête de rasage large pour la barbe, bouteilles d’eau pour le brossage des dents et pour les soins de canules.
Les résidus de poches de perfusion, les liquides biologiques et les aliments, ne peuvent être éliminés par le biais des lave-mains, mais doivent être évacués de manière sûre et ergonomique.
Citons comme alternatives possibles à l’enlèvement total du lave-mains de l’environnement du patient : accroître la distance (minimum 2 mètres) entre le lave-mains et le lit du patient et prévoir une paroi anti-éclaboussures. Voici par ailleurs quelques critères pour attenuer le risque d’éclaboussures dans le lave-mains : l’évacuation ne se trouve pas directement dans l’axe du jet d’eau, absence de grille à l’entrée du collecteur et distance suffisante entre le robinet et l’évacuation (afin d’éviter la contamination du robinet). L’installation d’un filtre au niveau du robinet peut constituer une protection temporaire à condition que la distance entre le robinet et l’évacuation soit suffisante. L’utilisation d’un siphon à désinfection thermique (Kohn trap) peut permettre de réduire la formation de biofilm dans l’évacuation, mais il s’agit d’une solution onéreuse.
La technique de la désinfection chirurgicale des mains a été introduite en 2006 au quartier opératoire, mais les grands éviers de brossage, que se partagent deux salles, sont restés en place. Lors de la conception d’une nouvelle infrastructure, il paraît légitime de se poser la question du maintien de ces points d’eau. Un dispositif de lavage des mains dans les vestiaires (donc à l’entrée du quartier opératoire) suffit à répondre aux exigences de la recommandation CSS 9344.
Afin de répondre aux besoins des utilisateurs, il a cependant été décidé de placer des lave-mains à plusieurs endroits stratégiques (vestiaires, local de pause, etc.) et d’opter pour un bac de désinfection moins volumineux (fig. 1) avec un seul point d’eau d’une part et d’autre part plusieurs stations de distribution de gel hydroalcoolique (mains libres) au niveau de l’entrée des salles d’opération. A noter que le bac de désinfection des mains peut être fabriqué sur mesure par l’entreprise. 

Fig. 1 : bac de désinfection des mains

 

 

 

 

 

 

 

Il a été décidé que des lave-mains ne seraient dorénavant encore maintenus qu’après concertation et consensus entre les utilisateurs et l’équipe hygiène hospitalière. Citons comme exception possible les locaux dans lesquels des mesures barrière maximales doivent être adoptées lors de procédures invasives telles que ponction ou cathétérisme (CSS 9344). Lors d’une consultation pour soins de plaies, les gants de toilette jetables imprégnés constituent une option, mais il paraît raisonnable d’installer (ou de maintenir) la présence d’un lave-mains raccordé au réseau de distribution d’eau chaude et froide. L’accent doit cependant rester marqué sur la promotion de l’utilisation de gels hydroalcoolique et l’installation de quelques lave-mains situés dans des endroits bien choisis. En l’état, un travail important doit encore être entrepris par l’équipe d’hygiène hospitalière afin de vaincre les réticences des utilisateurs qui le plus souvent reposent sur des arguments irrationnels ou sont basées sur des vieilles habitudes.

Élimination des liquides biologiques 

L’élimination des liquides biologiques constitue un deuxième réservoir important de BGN. En outre, le risque de souillure et de contamination tant des vêtements de travail que de l’environnement pendant le déversement des liquides biologiques est souvent inévitable. Enfin, outre les nuisances olfactives, l’obstruction de l’évacuation représente un problème fréquent.

Dans la nouvelle unité de soins intensifs, la distance entre les chambres des patients et l’espace de rinçage central est considérablement plus élevée. Les utilisateurs souhaitent dès lors avoir un déversoir décentralisé dans chaque chambre. Il convient de bien réfléchir avant la prise de décision, car même derrière une porte close et à distance du patient, les risques de contamination des vêtements ainsi que d’éventuelles nuisances olfactives subsistent.

Les eaux résiduelles de l’hémofiltration continue veino-veineuse étaient auparavant évacuées vers l’espace de rinçage central, mais un raccordement à l’évacuation sous le lave-mains est désormais disponible. Pour la dialyse intermittente, il y est procédé via un tuyau d’évacuation dans le lave-mains.

Dans la nouvelle infrastructure, des raccordements muraux vers une évacuation centrale ont été prévus (Fig. 2 et 3). Pour les autres liquides biologiques, nous avons opté pour la présence de lave-bassins disposés dans le sas de chaque chambre. Ces lave-bassins doivent être dotés d’une commande mains libres. Le déversement de la panne pleine doit se faire derrière porte close et la porte doit également pouvoir se fermer lorsque l’appareil n’est pas en cours d’utilisation. L’importance d’une bonne gestion des pannes a déjà été abordée dans un numéro antérieur de Noso-Info. (van Knippenberg-Gordebeke 2013) 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les demandes relative aux systèmes d’évacuation par les différents départements ont été analysée en détail. Des mauvaises expériences par le passé, impliquant des nuisibles (vermines, parasites), des obstructions, des nuisances olfactives et un risque d’éclaboussures ont été déterminantes pour décider de leur stricte limitation à quelques espaces techniques. Pour l’évacuation des eaux sales des autolaveuses, des points d’évacuation ont été prévus dans le mur du local de nettoyage à chaque étage.

Conclusion 

Il est clair que la prévention de la contamination par des BGN multirésistants de l’environnement du patient constitue un enjeu majeur, en particulier au niveau des unités de soins intensifs. C’est la raison pour laquelle il est important de constituer une cellule pluridisciplinaire regroupant les expertises nécessaires (personnel médical, service technique, hygiène hospitalière, architectes, bureaux d’étude, etc.). Ce groupe de travail se réunit et propose les solutions les plus  appropriées pour garantir un environnement idéal et sûr pour les patients. Dans ce cadre Il est évidemment important de prendre en considération les aspects pratiques et économiques ainsi que d’éventuelles contraintes locales de type structurelles (p.ex : le manque d’espace qui constitue souvent un facteur limitatif).

Références 

1. Implementation manual to prevent and control the spread of carbapenem-resistant organisms at the national and health care facility level: interim practical manual supporting implementation of the Guidelines for the prevention and control of carbapenem-resistant Enterobacteriaceae, Acinetobacter baumannii and Pseudomonas aeruginosa in health care facilities (WHO 2019)

2. De Geyter D. The sink as a potential source of transmission of carbapenemase-producing Enterobacteriaceae in the intensive care unit. Antimicrobial Resistance and Infection Control 2017

3. Fusch C. Self-disinfecting sink drains reduce the Pseudomonas aeruginosa bioburden in a neonatal intensive care unit. Acta Paediatrica. 2015

4. Willman MJ. Analysis of a long-term outbreak of XDR Pseudomonas aeruginosa: a molecular epidemiological study. Antimicrobial Chemotherapy 2015 

5. Grabowski M. Characterizations of handwashing sink activities in a single hospital medical intensive care unit. Journal of Hospital Infection 2018

6. Leighanne O. Sink-related outbreaks and mitigation strategies in Healthcare Facilities., Current Infectious Disease Reports 2018

7. Carling P. Wastewater drains: epidemiology and interventions in 23 carbapenem-resistant organism outbreaks., Infection Control and Hospital Epidemiology 2018

8. Kossow A. Control of Multidrug-Resistant Pseudomonas aeruginosa in Allogeneic Hematopoietic Stem Cell Transplant Recipients by a Novel Bundle Including Remodeling of Sanitary and Water Supply System. Clinical. Infectious Diseases 2017

9. Shaw E. Control of endemic multidrug-resistant Gram-negative bacteria after removal of sinks and implementing water-safe policy in an intensive care unit; Journal of Hospital Infection 2018

10. Arenega-Bou P. Carbapenem-resistant Enterobacteriaceae dispersal from sinks is linked to drain position and drainage rates in a laboratory model system, Journal of Hospital Infection 2019

11. Weinbren M. Down the drain and back up a drain Journal of Hospital Infection 2019

12. Hopman J. Reduced rate of intensive care unit care unit acquired gram-negative bacilli after removal of sinks an introduction of ‘water-free’ patiënt care, Antimicrobial Resistance and Infection Control 2017

13. Hota J. Outbreak of mulyidrug-resistant Pseudomonas aeruginosa colonization and infection secondary to imperfet intensive care room design Infection Control and Hospital Epidemiology. 2009

14. Van Knippenberg-Gordebeke G; Gestion des pannes : une autre question prioritaire pour les hygiénistes hospitaliers. NOSO-info 2013

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