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L’utilisation de capuchons désinfectants pour connecteurs sans aiguilles

Nicole Verbraeken - infirmière-hygiéniste hospitalière, UZ Brussel Wouter Pieteraerens - consultant infirmier dans le domaine des soins de cathéters, UZ Brussel

Introduction

Un accès veineux fiable et sûr via un cathéter veineux central est essentiel pour les patients dans diverses situations cliniques, telles la nutrition parentérale, l’administration de médication et l’hémodialyse1-2. Cependant, l’utilisation de ces dispositifs expose les patients au risque d’infections liées au cathéter, et notamment au développement de bactériémies. Ces complications infectieuses prolongent la durée d’hospitalisation et sont associées à une augmentation des coûts, de la morbidité et de la mortalité des patients1-2.

Les agents pathogènes responsables de bactériemies secondaires à une infection liée aux cathéters centraux (ICC) peuvent pénétrer dans la circulation sanguine soit par voie extra-luminale ou par voie intra-luminale3. La contamination extra-luminale se produit par l’entrée de microorganismes de la peau au niveau du site d’insertion, directement dans la circulation sanguine. une asepsie rigoureuse lors de la mise en place du cathéter et du changement du pansement, ainsi que l’utilisation d’un pansement à base de chlorhexidine permettent de prévenir la contamination par voie extra-luminale4. La pénétration des microorganismes dans le sang par voie intra-luminale est secondaire à des manipulations septiques de la ligne veineuse au niveau de l’embout du cathéter et des raccords. Dans le cas d’une contamination par voie intra-luminale, les microorganismes adhèrent à la paroi et à la lumière interne du cathéter. Un biofilm peut ainsi se former et se propager dans la circulation sanguine. Pour éviter toute contamination intraluminale, les embouts des cathéters doivent être désinfectés selon une procédure appelée « scrub the hub » ou « désinfection active ». Cette opération est réalisée à l’aide d’une compresse et d’un liquide désinfectant (alcoolisés)pendant plus de 5 secondes, idéalement 15 secondes5. Étant donné que la durée et la technique de « friction » ne sont généralement pas définies dans les protocoles, la procédure est appliquée de façon très variable selon les opérateurs, et la désinfection de l’embout est souvent suboptimale. Tout cela augmente le risque d’ICC6.

Des capuchons désinfectants ont été mis au point pour diminuer le risque infectieux lié à la disparité d’application des techniques et réduire ainsi le nombre d’ICC. Ces capuchons en plastique contiennent une mousse imbibée de désinfectant, généralement de l’alcool à 70°, qui agit après 1 minute. Les bouchons à usage unique sont vissés sur le connecteur de manière à imprégner continuellement l’embout de produit désinfectant (désinfection passive) et restent en place jusqu’à l’injection/connexion suivante ou pendant une semaine au maximum. Après retrait, le capuchon ne peut plus être réutilisé. Outre une meilleure désinfection, l’embout est également protégé de toute contamination par contact ou par voie aérienne. Il existe également des capuchons désinfectants pour les robinets à trois voies (voir fig.1). 

Fig.1 (Source : Gillis V. 2022)

Ces capuchons avaient déjà été introduits en 2002 par Maki7 comme une méthode prometteuse pour désinfecter les voies d’accès veineuses. Une étude in vitro a démontré que l’utilisation de ces capuchons désinfectants permettait de réduire la colonisation de l’embout de plus de 5 Log10 UFC (Unités Formant Colonie) et ainsi de diminuer le risque d’ICC6. En 2019, le National Institute of Health and Care Excellence (NICE) mentionnait les capuchons désinfectants parmi les interventions ayant une utilité potentielle pour réduire l’incidence des ICC. Faute de preuves suffisantes, il a été recommandé de poursuivre les recherches afin d’évaluer le bénéfice clinique de cette intervention. Entretemps, plusieurs articles et revues ont été consacrés à ce sujet, mais la désinfection active reste toujours la méthode recommandée dans l’ensemble des mesures de prévention des soins de cathéters, et les capuchons désinfectants ne sont pas encore largement utilisés dans nos hôpitaux.

Le présent article revoit brièvement l’état actuel des connaissances du sujet dans la littérature.

Méthodes

Les mots clés « Disinfection cap AND central line infections » ont été recherchés dans Medline, Google Scholar, Web of Science et Cochrane pour trouver des revues systématiques récentes (2021-2023). Deux méta-analyses8-9 comparant les taux d’ICC liées à l’utilisation de capuchons désinfectants à ceux liés à la méthode « scrub the hub » (frictionner l’embout) ont été retenues. L’efficacité des capuchons désinfectants dans des sous-groupes de référence (âge, entreprise, contexte clinique), la sécurité, l’observance et le coût ont également été examinés. Les résultats sont présentés sous forme de risque relatif (RR) avec un intervalle de confiance de 95 %
(IC — intervalle de confiance).

Résultats

La plupart des études retenues sont des études pré/post interventionnelles, mais récemment quelques essais contrôlés randomisés (ECR) ont également été publiées. Quatorze études ont été incluses dans la revue de Tejada et al.8, dont deux ECR. Gillis et al9 ont inclus trois ECR et 12 études pré/post interventionnelles. La majorité des études reprises présentaient des résultats concordants.

Leur grande hétérogénéité s’explique par l’inclusion d’enfants et d’adultes en soins intensifs (USI) ou dans d’autres unités (non USI), ainsi qu’en hôpital de jour oncologique 10. Elle peut également s’expliquer par la grande disparité au sein des populations de patients pour lesquelles des cathéters veineux centraux sont utilisés.

Par rapport au groupe contrôle pour lequel la désinfection était effectuée manuellement, le groupe d’intervention pour lequel les capuchons désinfectants étaient utilisés présentait un risque plus faible d’ICC (RR 0,65, IC de 95 % 0,55-0,76 ; P<0,00001)9, ce qui concorde avec les résultats de méta-analyses antérieures (RR 0.43-0.60)8. On a également constaté une nette diminution de l’incidence des ICC dans les sous-groupes, même aux soins intensifs (RR 0,36, IC de 95 % 0,15-0,18 ; P=0,02), où le nombre de moments de connexion par jour est très élevé. Dans les unités de soins non intensifs, une réduction similaire du risque relatif de 0,63 a été observée, sans toutefois être significative (IC 95 % : 0,33-1,18 ; P = 0,15). Cela peut s’expliquer par le nombre relativement plus faible d’études sur des populations incluses en dehors des USI.

Seules quelques études font état de la sécurité d’utilisation des capuchons désinfectants. Deux études in vitro11-12 sur Swabcap ont révélé une fuite d’alcool au travers de la membrane. Toutefois, les conséquences cliniques éventuelles de ce phénomène sont inconnues à ce jour, et des études complémentaires sont nécessaires. Le Curos™ (3M™) et le SwabCap™ (ICU-medical) diffèrent par leur conception (notamment la flexibilité de la mousse) et leur technique (à visser pour l’un, à clipser pour l’autre). Le risque d’intoxication peut être réduit en laissant le connecteur sans aiguille sécher à l’air libre avant d’injecter un médicament ou de connecter une perfusion intraveineuse. Les études retenues n’ont pas mis en évidence de différence entre les différents bouchons désinfectants en termes de réduction d’ICC.

L’importance du respect des règles d’observance lors de l’utilisation les capuchons désinfectants est clairement soulignée. Toutes les études soulignent la facilité d’utilisation et le gain de temps par rapport à la méthode « scrub the hub ». Les gains de temps sont très appréciés par les soignants, ce qui se traduit par une observance élevée. Ainsi, Merrill et al. ont constaté un lien étroit entre l’utilisation de capuchons désinfectants et la diminution du taux d’ICC : une augmentation de 10 % de l’observance a entraîné une diminution de 7 % du taux d’ICC (rapport d’incidence de 0,93)14. 

La couleur des capuchons désinfectants rend les embouts clairement visibles et permet également de contrôler plus facilement l’observance. Si l’observance peut varier, l’éducation, le contrôle et la mise à disposition de capuchons désinfectants au niveau des pieds à perfusion peuvent l’accroître de manière significative. Nous avons pu le constater nous-mêmes dans nos unités de soins intensifs à l’UZ Brussel: le gain de temps perçu, mais aussi la disponibilité immédiate ont été des facteurs importants pour une mise en œuvre rapide et une observance durable. 

Le rapport efficacité/coût est un paramètre important lors de la mise en œuvre d’un nouveau matériel. Le coût unitaire d’un capuchon désinfectant est faible, mais le nombre important de connexions par jour, et ce chez tous les patients porteurs d’un cathéter veineux central, induit un coût non négligeable. Malgré des différences dans l’analyse coût-bénéfice entre les différentes études, l’impact sur la durée de l’hospitalisation et les coûts subséquents reste favorable.

L’hétérogénéité entre les études et le risque élevé de biais sont les principales limites de ces méta-analyses. 

Conclusion 

Les études cliniques les plus récentes13 confirment le bien-fondé de l’utilisation de capuchons désinfectants à désinfection passive, mais continue. Malgré la qualité méthodologique limitée de ces études, leur utilisation semble constituer une stratégie efficace pour réduire l’incidence des ICC. Ces capuchons sont sûrs, leur utilisation bien acceptée par les soignants et ils permettent également de gagner du temps. Ceci est d’autant plus important dans un contexte de charge de travail toujours croissante dans les soins de santé15 et qui entraîne une augmentation du nombre d’ICC. 

Malgré l’absence de données probantes en pédiatrie, de nombreuses unités de soins intensifs néonatales (USIN) utilisent des capuchons désinfectants sans rapporter d’effets secondaires notables. Une enquête menée par le SHEA Paediatric Leadership Council a montré qu’un tiers (9 sur 27) des USIN participantes utilisaient des capuchons désinfectants pour tous les ports d’accès du dispositif d’administration par voie intraveineuse chez tous les patients de l’USIN16.

Des essais cliniques randomisés et contrôlés de bonne qualité, dans différents groupes de patients présentant des risques d’infection variables, sont encore nécessaires pour établir définitivement le rapport efficacité/coût et permettre l’inclusion systématique de cette mesure dans les programmes de prévention.

Références

1. Maki DG, Kluger DM, Crnich CJ. The risk of bloodstream infection in adults with different intravascular devices: a systematic review of 200 published prospective studies. Mayo Clin Proc. 2006 ; 81 : 1159-1171

2. Ruesch S, Walder B, Tramèr MR. Complications of central venous catheters: internal jugular versus subclavian access–a systematic review. Crit Care Med. 2002 ; 30 : 454-460

3.Frasca D, Dahyot-Fizelier C, Mimoz O. Prevention of central venous catheter-related infection in the intensive care unit. Crit Care. 2010 ; 14: 212

4. Mireia Puig-Asensio, Alexandre R. Marra, Christopher A. Childs, Mary E. Kukla, Eli N. Perencevich, Marin L. Schweizer Effectiveness of chlorhexidine dressings to prevent catheter-related bloodstream infections. Does one size fit all? A systematic literature review and meta-analysis ICHE. 2020;, 41, 1388–1395

5. Strategies to Prevent Central Line–Associated Bloodstream Infections in Acute Care Hospitals: Update ICHE.  2014; 35 nr 8

6. Casey AL, Karpanen TJ, Nightingale P, Elliott TSJ. An in vitro comparison of standard cleaning to a continuous passive disinfection cap for the decontamination of needle-free connectors. Antimicrob Resist Infect Control. 2018; 7: 50

7. Menyhay S, Maki D. Disinfection of needleless catheter connectors and access ports with alcohol may not prevent microbial entry: the promise of a novel antiseptic-barrier cap. ICHE. 2006; 27: 23-7

8. Tejada S, Leal-Dos-Santos M, Peña-López Y, Blot S, Alp E, Rello J. Antiseptic barrier caps in central line-associated bloodstream infections: a systematic review and meta-analysis. Eur J Intern Med. 2022; 69: 34-40

9. Gillis VE, Es MJ van, Wouters Y et al. Antiseptic barrier caps to prevent central line-associated bloodstream infections: A systematic review and meta-analysis Am. J. Infect Control 2023; 7: 827-835

10. Milstone AM, Rosenberg C, Yenokyan G, Koontz DW, Miller MR. Alcohol-impregnated caps and ambulatory central-line-associated bloodstream infections (CLABSIs): A randomized clinical trial. ICHE. 2021; 42: 431-439.

11. Sauron C, Jouvet P, Pinard G, Goudreault D, Martin B, Rival B, et al. Using isopropyl alcohol impregnated disinfection caps in the neonatal intensive care unit can cause isopropyl alcohol toxicity. Acta Paediatr. 2015; 104: 489-93

12. Hjalmarsson, LB, Hagberg, J, Schollin, J, Ohlin, A. Leakage of isopropanol from port protectors used in neonatal care—results from an in vitro study. PLoS One 2020; 15 

13. Marianne Person ; Jessica Biggs; Elizabeth Ross ; and Margaret Harvey, College of Nursing – The University of Tennessee Health Science Center – Memphis, TN  Central Line Associated Blood Stream Infection Prevention with Use of Disinfection Caps: A Scoping Review -2022. Paper 

14. Merrill KC, Sumner S, Linford L, Taylor C, Macintosh C. Impact of universal disinfectant cap implementation on central line-associated bloodstream infections. Am J Infect Control. 2014 ; 42 : 1274–1277.

15. Yuefeng Hou,, Leah P Griffin, Kari Ertmer, Stéphanie F Bernatchez, Tarja J Kärpänen, Maria Palka-Santini  Effectiveness of of Disinfecting Caps for Intravenous Access Points in Reducing Central Line-Associated Bloodstream Infections, Clinical Utilization, and Cost of Care During COVID-1  ClinicoEconomics and Outcomes Research 2023; 15: 477–486 

16. Martha Muller, Kristina A. Bryant, Claudia Espinosa, Jill A. Jones, Caroline Quach, Jessica R. Rindels, Dan L. Stewart, Kenneth M. Zangwill and Pablo J. Sánchez   SHEA Neonatal Intensive Care Unit (NICU) White Paper Series: Practical approaches for the prevention of central-line–associated bloodstream infections, ICHE. 2023; 44: 550–564

 

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