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Quand les punaises de lit s’invitent dans un hôpital psychiatrique bruxellois … partage d’expérience d’une gestion d’une épidémie

Pascaline Lehoucq - Infirmière en prévention et contrôle des infections

Contexte général

Si les punaises de lit sont présentes au côté de l’homme depuis des milliers d’années (des traces ont été trouvées dans des tombes égyptiennes datant de plus de 3500 ans), vers le milieu du vingtième siècle, elles avaient pratiquement disparu de nos contrées suite à l’amélioration de l’hygiène des habitats1, à l’apparition des insecticides à forte rémanence et à une politique de traitement systématique contre tous les nuisibles (cafards, mites…)(2,3,4,5).

Cependant, depuis les années 1990, une forte recrudescence des punaises de lit est observée dans les pays développés (2,3,4,5), affectant tous les milieux socio-culturels, les lieux à grande densité de population et promiscuité élevée (crèches, écoles maternelles, foyers d’hébergement, hôtels, auberges de jeunesse, MRS, prisons…).

Ceci s’explique par un ensemble de facteurs, notamment par l’accroissement du commerce et du tourisme international qui ont favorisé la transmission passive des punaises via les moyens de transport (avions, trains, bateaux) ou encore par l’interdiction de pesticides puissants comme le dichloro-diphényltrichloroéthane (DDT)6. 

Les milieux de soins n’échappent pas à cette infestation. Les punaises de lit trouvent dans les hôpitaux, un environnement chaud et protégé favorable à leur développement.

Généralités

Les punaises de lit sont des anthropodes hématophages, d’une taille de 4 à 7 mm, de couleur beige-brun, plats et sans ailes. Deux espèces sont connues pour occasionner des piqûres chez l’homme, le Cimex lectularius (zones tempérées) et le Cimex hemipterus (zones tropicales)7. En Belgique, nous rencontrons principalement, le Cimex lectularius. 

La femelle pond environ 200-500 œufs au cours de sa vie à un rythme de 5 à 15 œufs par jour qu’elle dépose dans les crevasses, les fissures ou tout autre endroit à l’abri de la lumière. Recouverts d’une substance collante, les œufs des punaises de lit sont blancs et mesurent 1 mm de longueur. Leur petite taille et leur couleur les rendent difficilement détectables.
Le passage à l’état adulte se fait en 5 stades. Un repas sanguin est indispensable à chaque étape du cycle de maturation. Les jeunes sont de couleur claire (à jeun) ce qui les rend peu visibles.
Les punaises de lit se nourrissent principalement la nuit ou dans des environnements peu éclairés, attirées par la chaleur du corps et le dioxyde de carbone que nous exhalons.
Leur salive contient des substances anesthésiantes, vasodilatatrices et anticoagulantes qui leur permet d’effectuer un repas pendant dix à vingt minutes sans que l’homme ne s’en rende compte7. Une punaise de lit peut survivre sans repas, jusqu’à 1 an et demi, voire 2 ans, dans des conditions favorables (température, abri…)8.

Comment les détecter ?

> Tableau Clinique 
Les punaises de lit provoquent des lésions dermatologiques sur les parties découvertes du corps (visage, cou, épaules, bras, jambes). La lésion cutanée la plus typique se présente sous forme de tache rouge en relief (maculo-papule) de 5 mm à 2 cm de diamètre avec un point hémorragique central. Ces papules sont responsables de démangeaisons plus marquées le matin que le soir. Le prurit est responsable de lésions cutanées de grattage. Celles-ci peuvent parfois laisser des séquelles pigmentaires. 

> Environnement 
Le diagnostic doit être confirmé par la visualisation de punaises dans l’environnement du patient (mise en évidence directe). Leur corps aplati leur permet de se cacher dans des espaces très restreints (draps, matelas, sommier, plinthes du lit, caches de prises électriques, orifices d’aération, prises de courant, ourlets de rideaux, fissures…)9. Il est donc nécessaire de se munir d’une lampe de poche et de rechercher l’insecte, les lentes ou les œufs dans tous les endroits sombres de la/des pièce(s). 

Certains moyens peuvent aider à la détection comme des pièges à base de gaz carbonique
La présence de déjections (petit amas noir et pâteux de 1-2 mm) ou de traces de sang sur les draps dû à l’écrasement de punaises lors du sommeil du patient (mise en évidence indirecte) sont également des indices. Cet insecte ne transmet pas de maladie bactérienne ou virale connue à l’homme10.

Problématique rencontrée dans l’institution

Pendant l’été 2022, nous avons été confrontés à une épidémie importante de punaises de lit dans notre hôpital constitué principalement d’unités de soins psychiatriques.
En août 2022, une première punaise de lit est détectée dans les toilettes des membres du personnel d’une des unités de soins. Ce local n’étant pas à proximité de chambres de patients, l’équipe de prévention et de contrôle des infections a réalisé une inspection générale des locaux du service (chambres, locaux de soins, bureaux…). Pour cela, l’infirmière en prévention et contrôle des infections a été accompagnée par un expert de la firme de décontamination.
Des punaises de lit ont été trouvées dans quatre chambres de l’unité (chambres adjacentes). Les patients hospitalisés dans ces chambres présentaient également des traces de piqûres.
Au vu du mode de propagation des punaises de lit, les unités de soins contiguës ont également été inspectées ainsi que les locaux de kinésithérapie et d’ergothérapie qui sont situés à un étage spécifique.

Cela a permis de mettre en évidence 3 chambres contaminées dans l’unité située en dessous de la première unité et une chambre dans l’unité située au-dessus.  Nous avons donc observé une propagation horizontale et transversale des punaises de lit au sein de l’institution avec un niveau d’infestation déjà important.

Dans les trois unités concernées, 7 patients ont présenté des lésions dermatologiques. Aucun membre du personnel n’a été affecté.

Stratégie de contrôle de l’épidémie : 

> Mesures immédiates de contrôles :

– Décontamination chimique :
Après accord de la direction, la première mesure prise a été de programmer, avec une firme spécialisée, la décontamination de l’ensemble de l’unité la plus infestée ainsi que des chambres contaminées dans les 2 autres unités.
Un traitement chimique nécessite deux passages dans un délai de 3 semaines afin de s’assurer de l’élimination des insectes immatures étant sortis des œufs après l’application de l’insecticide.

Cette décontamination a occasionné un coût important pour l’institution (environ 10.000 euros).
Afin de limiter l’impact financier sur l’institution, l’unité de soins n’a pas été fermée mais a été découpée en 7 zones (1 zone comprenant, en moyenne, 3 chambres et 1 local annexe). Le nombre de patients a été limité afin de laisser des chambres libres pour pouvoir déplacer les patients dans les différentes zones en fonction de l’avancement de la décontamination. La mobilisation des patients et du mobilier d’une zone à l’autre demande une observation rigoureuse de la procédure pour éviter de déplacer les punaises dans les locaux déjà traités.

– C’est pourquoi, la décontamination chimique, doit être combinée, pour être efficace, à une lutte mécanique : les affaires personnelles des patients (linge) ont été lavées en machine à 60°C. Le lit, les oreillers, le matelas ont bénéficié d’un traitement complémentaire à la vapeur (120°C).
– Les autres effets personnels tels que les valises, sacs, ont été enfermés hermétiquement dans des sacs plastiques avec un insecticide pour insectes rampants (décontamination chimique).
Nous ne disposons pas de congélateurs dans l’institution. Cette méthode d’élimination des punaises n’a donc pas été utilisée.

Les petites fissures et crevasses ont été comblées, les plinthes recollées et les prises ont été resserrées pour éviter tous les espaces susceptibles d’abriter ces insectes.
Le nettoyage et la désinfection des différents services ont été renforcés
– Les patients symptomatiques présentant des lésions cutanées ont été traités à par des dermocorticoïdes topiques de classe III ou IV11.

> Mesures de contrôles à moyen et long terme : 

– Des formations ont été données afin de sensibiliser le personnel soignant :

• à la détection ; 
• à la réalisation d’une anamnèse et d’un examen clinique des patients dès la pré-admission;
• aux actions à entreprendre pour éviter une éventuelle propagation en cas de présence de punaises de lit et cela dès l’admission d’un patient.

– La procédure d’admission a été adaptée en incluant l’interrogatoire et l‘examen clinique des patients et la recherche active de l’insecte dans les effets personnels (vêtements, livres…) des patients dès l’admission.
Le règlement d’ordre intérieur a été modifié afin d’informer le patient de la possibilité de la réalisation d’une inspection cutanée et d’un éventuel traitement de ses effets personnels (linge…).
– Cet évènement a également montré la nécessité d’avoir une gestion d’un stock de vêtements de rechange afin de pouvoir répondre aux besoins éventuels des patients dont les affaires sont contaminées par les punaises de lit.

> Ce qui nous a aidé : 

– L’existence d’un partenariat avec un intervenant expérimenté : nous avions déjà effectué, 2 ans auparavant, une analyse des procédures des différentes sociétés de décontamination. Il est en effet important de bénéficier de la collaboration avec une firme qui répond le mieux aux attentes d’une institution hospitalière (délai d’attente, sécurité de la procédure…).
Nous avions également une procédure interne de gestion de punaises de lit sur laquelle nous appuyer. car, si c’est la première épidémie à laquelle nous avons été confrontés, nous avions déjà eu à gérer la présence de punaises de lits dans l’institution,

> Ce qui nous a mis en difficulté :

– Le non-respect strict du protocole est problématique et remet en cause toute la procédure. Par exemple, lors de l’épidémie, un lit a été changé de chambre sans être retraité. Cela a entraîné la nécessité de traiter à nouveau la chambre concernée (2 passages).
– L’impact sur l’organisation du service : le personnel mobilisé dans la gestion de l’épidémie avec de multiples transferts occasionne une charge de travail importante.

> Les axes d’amélioration :

Nous avions une procédure de gestion des punaises de lit au sein de l’institution mais cet événement nous a montré l’importance d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’action complet en renforçant les aspects de la prévention. 

Une détection précoce, des revêtements lisses (en refermant les éventuelles fentes dans les murs, en recollant les plinthes…), la formation du personnel soignant à la détection et aux actions à mener de manière préventive pour éviter la propagation sont autant d’aspects à ne pas négliger. 

Conclusion 

Les punaises de lit sont en forte expansion au niveau mondial. Les institutions de soins sont dès lors de plus en plus confrontées à cette problématique qui est en passe de devenir un réel problème de santé publique.

La gestion d’une épidémie de punaises de lit est complexe et a un impact financier important, notamment par le biais de l’augmentation de la charge de travail des équipes. Dans le cas présent, nous n’avons cependant pas pu estimer de manière quantitative les côuts directs et indirects de cette épidémie pour l’institution.
Il est dès lors important d’avoir une procédure multiaxiale, abordant à la fois la stratégie de prévention et la gestion efficace des punaises de lit. Un aspect important de la réussite de la prévention est la sensibilisation des équipes à la problématique.

En cas d’infestation, différentes méthodes chimiques et mécaniques d’élimination des punaises de lit peuvent être utilisées. Cependant il est recommandé de recourir à des entreprises professionnelles de désinfestation. 

Bibliographie

1. Berenger JM, Delaunay P, Pagès F. Bedbugs (Heteroptera, Cimicidae): biting again. Med Trop 2008; 68:563–567. 

2. Paul J, BateJ. Is infestation with the common bedbug increasing? BMJ 2000; 320:1141. 

3. Hwang SW, Svoboda TJ, De Jong LJ, Kabasele KJ, Gogosis E. Bed bug infestations in an urban environment. Emerg Infect Dis 2005; 11:533–538. 

4. Heymann WR. Bed bugs: a new morning for the nighttime pests. J Am Acad Dermatol 2009; 60:482–483.

5. Doggett S, Greary M, Russell R. The resurgence of bed bugs in Australia. Environ Health 2004; 4:30–38.

6. Sahil M,Laffitte E, Sudre P, Lacour O, et al. Punaise de lit : mieux la connaître pour mieux s’en débarrasser. Revue médicale Suisse 2013 ; 9:718-722.

7. Levy Bencheton A, Pagès F, Berenger JM, et al. Dermite aux punaises de lit (Cimex Lectularius). Ann Dermatol Venereol 2010;137:53-5.

8. Reinhardt K, Siva-Jothy MT. Biology of the bed bugs (Cimicidae). Annu Rev Entomol 2007; 52:351–374.

9. Rieder E, Hamalian G, Maloy K, et al. Psychiatric consequences of actual versus feared and perceivedbed bug infestations : A case series examining a current epidemic. Psychosomatics 2012; 53:85-91.

10. Bernardeschi C, Le Cleach L, Delaunay P, et al. Bed bug infestation. BMJ 2013;346:f138

11.Moore DJ, Miller DM. Field evaluations of insecticide treatment regimens for control of the common bed bug, Cimex lectularius (L.). Pest Manag Sci 2009; 65:332–338

12. https://www.hug.ch/dermatologie-venereologie/prise-charge-punaises-lit consulté le 08/03/2023

13. https://msss.gouv.qc.ca/professionnels/sante-environnementale/punaises-de-lit/recommandations-generales-aux-cisss-et-aux-ciusss/ 

 

 

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