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L’hygiène des mains : la voix des soignants !

Arnaud Bruyneel - Infirmier PCI – projet HOST du réseau HELORA & doctorant en santé publique à l’ULB Docteur Delphine Mathieu - Infectiologue & Spécialiste PCI, chef de service au CHU Tivoli & responsable du projet HOST du réseau HELORA

Introduction

L’hygiène des mains (HDM) est la pierre angulaire de la prévention et du contrôle des infections à l’hôpital (1,2). Selon une revue systématique publiée en 2022, la compliance à l’HDM varie entre 60 et 70% dans les hôpitaux. Par ailleurs, des taux d’incidence plus faibles d’infections liées aux soins semblent être observés lorsque le niveau d’observance à l’hygiène des mains atteint environ 60% (3). En Belgique, la compliance moyenne pondérée serait de 79,6% après la campagne de 2021. 

Dans un premier temps, la pandémie de COVID-19 avait permis d’améliorer la compliance à l’HDM. Cependant, cette compliance est redescendue au même niveau qu’avant la pandémie (4,5). Les soignants auraient augmenté la compliance par peur de se faire contaminer par le virus (6).

Les stratégies efficaces pour améliorer l’observance résultent d’une combinaison de plusieurs éléments ; notamment le changement de système des soins de santé, la formation et l’éducation des soignants, l’observation et le retour d’informations sur les performances, les rappels sur le lieu de travail et l’instauration d’un climat de sécurité (7). Cette stratégie a été recommandée par un grand nombre d’organisations et d’autorités dans le monde entier (8). Cependant, on connait très peu de choses sur l’opinion des travailleurs de la santé concernant l’HDM. Or, cet élément est primordial pour comprendre le comportement des soignants sur la compliance à l’HDM. L’objectif de l’étude est d’évaluer la perception, les attitudes et les connaissances en matière d’hygiène des mains chez les soignants.

Méthodologie

C’est une étude descriptive transversale du 09/05/22 au 23/05/22 à l’occasion de la journée internationale de l’HDM de l’OMS du 5 mai chez les soignants des hôpitaux du réseau HELORA (CHU Tivoli, CHU Ambroise Paré et le groupe Jolimont). Le questionnaire utilisé provient d’un document édité par le projet de campagne d’HDM (2004-2005) et Limesurvey®.  Ce questionnaire a été diffusé via les cellules de communication (mails, intranet…). Les soignants ont été définis comme des professionnels de santé travaillant en contact direct avec le patient. 

Les données ont été traitées conformément à la loi belge du 30 juillet 2018 et au règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des activités de traitement et visant à assurer la libre circulation des données à caractère personnel.

Tableau 1 : Description de l’échantillon 

1/3 de l’échantillon déclare qu’il est difficile de se conformer aux recommandations en matière d’HDM. Cependant, 90% des répondants pensent pouvoir améliorer leur pratique. 20% de l’échantillon estime que le port des bijoux au niveau des mains n’est pas dangereux pour le patient. 

Tableau 1 : Description de l’échantillon

 

Tous ont déclaré suivre les recommandations et en connaître les indications. Cependant, les réponses aux questions sur les connaissances varient de 17 à 73% avec un score global médian [p25-p75] de 5/10 [4-7]. Les répondants ont généralement une attitude inadéquate qui consiste à procéder à la fois à un lavage au savon et une désinfection à la solution hydro-alcoolique (SHA) (figure 1).

Figure 1 : Résultats sur le test de connaissances

 

 

 

Concernant les freins, 35% des soignants déclarent ne pas respecter les recommandations de l’HDM par manque de temps, 34% à cause des mains abîmées et 30% préfèrent porter des gants (figure 2). 

Figure 2 : Freins à l’hygiène des mains

Discussion

Nos résultats sont en demi-teinte. Il est rassurant de constater que 90% des répondants pensent pouvoir optimiser leur pratique sur l’HDM. Ce résultat doit inciter nos équipes en prévention et contrôle des infections à poursuivre les formations à ce sujet. A l’inverse, plus d’un tiers des soignants de notre échantillon décrivent des difficultés majeures à se conformer aux recommandations. Le manque de temps semble en être la cause principale. Ceci a d’ailleurs été corroboré par plusieurs études belges sur la charge de travail des soignants (9,10).
Il est donc inéluctable de revoir les niveaux de dotation et ainsi pouvoir lutter activement contre cette pénurie de professionnels de la santé afin d’améliorer cette compliance(11). 

Concernant les autres freins, les formations doivent être impérativement renforcées. La préférence pour l’utilisation des gants est également inquiétante. L’impact sur les infections liées aux soins lorsque ceux-ci ne sont pas changés régulièrement est majeur (12). La pandémie de COVID-19 a visiblement renforcé cette surutilisation des gants. Le thème de la campagne d’hygiène des mains de cette année est donc tout à fait à propos. Enfin, un travail sur les infrastructures des hôpitaux peut encore améliorer l’HDM vu le manque de lavabo et de SHA déclaré par les soignants. 

On remarque un écart important sur la perception de la connaissance des indications de l’HDM et le test de connaissance. Les répondants ont encore anormalement tendance à privilégier le lavage des mains alors que seule la SHA est recommandée dans une majorité des cas. D’autant que la combinaison de la SHA et du lavage des mains peut accentuer les lésions dermatologiques, qui est l’un des freins le plus cité dans notre étude. Ces résultats peuvent permettre de prioriser les thématiques à aborder lors des formations sur l’HDM.  

Par rapport aux données de la campagne d’HDM de 2005, les soignants étaient conscients de l’importance de l’HDM et pensaient également bien connaître les indications. De plus, les résultats sur les connaissances sont quasiment identiques à nos résultats. La formation sur l’HDM reste donc une priorité absolue pour les équipes de PCI afin d’améliorer ce résultat. Enfin, en 2005, les soignants signalaient que l’utilisation des gants était le frein principal à une bonne HDM. Les recommandations sur le port des gants s’avèrent donc être également une priorité dans les futures formations sur l’HDM. 

Finalement, nos résultats concordent avec une étude française récente sur les obstacles à l’HDM comme les caractéristiques des SHA utilisées (caractère désagréable, nocivité, préférences personnelles pour d’autres produits d’hygiène des mains), les facteurs personnels (habitudes de travail, biais cognitifs, manque de connaissances et de communication) et organisationnels (contraintes professionnelles, accessibilité des produits, ressources financières) (13).

Notre étude comporte évidemment des limites. Premièrement, notre panel est restreint. Refaire cette étude avec un nombre d’échantillons plus représentatif pourrait confirmer nos résultats, les comparer dans le temps afin de pouvoir poursuivre notre amélioration continue.  En effet, nous n’avons pu réaliser de sous-échantillon, comme par unité de soins, vu le nombre de répondants. Enfin, il s’agit d’un questionnaire en ligne, les soignants n’ayant pas accès à internet sur le lieu de travail, n’ont donc pas pu y participer. 

Conclusions 

Ce type de questionnaire est complémentaire à la campagne d’observance de l’HDM car il apporte d’autres visions sur les facteurs personnels de la perception de l’HDM. Le test de connaissances démontre la nécessité de poursuivre inlassablement les formations des soignants concernant la PCI au sens large, surtout sur l’utilisation de la solution hydro-alcoolique et les gants à usage unique. Le manque de temps des soignants est un défi majeur pour la qualité des soins à l’hôpital dont l’hygiène des mains fait partie. 

Bibliographie

1. Lotfinejad, N., Peters, A., Tartari, E., Fankhauser-Rodriguez, C., Pires, D., & Pittet, D. (2021). Hand hygiene in health care: 20 years of ongoing advances and perspectives. The Lancet. Infectious diseases, 21(8), e209–e221. https://doi.org/10.1016/S1473-3099(21)00383-2 

2. Gould, D. J., Moralejo, D., Drey, N., Chudleigh, J. H., & Taljaard, M. (2017). Interventions to improve hand hygiene compliance in patient care. The Cochrane database of systematic reviews, 9(9), CD005186. https://doi.org/10.1002/14651858.CD005186.pub4 

3. Mouajou, V., Adams, K., DeLisle, G., & Quach, C. (2022). Hand hygiene compliance in the prevention of hospital-acquired infections: a systematic review. The Journal of hospital infection, 119, 33–48. https://doi.org/10.1016/j.jhin.2021.09.016 

4. Wang, Y., Yang, J., Qiao, F., Feng, B., Hu, F., Xi, Z. A., Wu, W., Ni, Z. L., Liu, L., & Yuan, Y. (2022). Compared hand hygiene compliance among healthcare providers before and after the COVID-19 pandemic: A rapid review and meta-analysis. American journal of infection control, 50(5), 563–571. https://doi.org/10.1016/j.ajic.2021.11.030 

5. Clancy, C., Delungahawatta, T., & Dunne, C. P. (2021). Hand-hygiene-related clinical trials reported between 2014 and 2020: a comprehensive systematic review. The Journal of hospital infection, 111, 6–26. https://doi.org/10.1016/j.jhin.2021.03.007 

6. Gould, D. J., Moralejo, D., Drey, N., Chudleigh, J. H., & Taljaard, M. (2017). Interventions to improve hand hygiene compliance in patient care. The Cochrane database of systematic reviews, 9(9), CD005186. https://doi.org/10.1002/14651858.CD005186.pub4 

7. WHO Guidelines on Hand Hygiene in Health Care: First Global Patient Safety Challenge Clean Care Is Safer Care. (2009). World Health Organization. 

8. Kuniavsky, M., Lubanetz, E., & Chinnitz, D. (2022). Why do we fail complying with hand hygiene recommendations in COVID-19 wards?. Intensive & critical care nursing, 73, 103299. https://doi.org/10.1016/j.iccn.2022.103299 

9. Bruyneel, A., Gallani, M. C., Tack, J., d’Hondt, A., Canipel, S., Franck, S., Reper, P., & Pirson, M. (2021). Impact of COVID-19 on nursing time in intensive care units in Belgium. Intensive & critical care nursing, 62, 102967. https://doi.org/10.1016/j.iccn.2020.102967 

10. Van den Heede K, Bouckaert N, Detollenaere J, Kohn K, Maertens de Noordhout C, Vanhooreweghe J, Bruyneel A, Sermeus W. Nurse staffing on Belgian intensive care units: the impact of two years of COVID-19 pandemic. Health Services Research (HSR) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2022. KCE Reports 353. D/2022/10.273/24

11. Van den Heede K, Bruyneel L, Beeckmans D, Boon N, Bouckaert N, Cornelis J, Dossche D, Van de Voorde C, Sermeus W. Safe nurse staffing levels in acute hospitals . Health Services Research (HSR) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2019. KCE Reports 325. D/2019/10.273/75

12. Lindberg, M., Skytt, B., & Lindberg, M. (2020). Continued wearing of gloves: a risk behaviour in patient care. Infection prevention in practice, 2(4), 100091. https://doi.org/10.1016/j.infpip.2020.100091 

13. Calcagni, N., Venier, A. G., Nasso, R., Broc, G., Ardichen, E., Jarrige, B., Parneix, P., & Quintard, B. (2021). Barriers and facilitators on hand hygiene and hydro-alcoholic solutions’ use: representations of health professionals and prevention perspectives. Infection prevention in practice, 3(4), 100169. https://doi.org/10.1016/j.infpip.2021.100169 

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