Prise en charge des infections urinaires dans les maisons de repos et de soins en Belgique : conseils pratiques basés sur deux études
En bref
Les infections urinaires sont l’une des causes d’infection les plus fréquentes dans les maisons de repos et de soins en Belgique. Leur diagnostic et leur traitement nécessitent une approche différente dans cette population âgée que dans la pratique ambulatoire.
Résumé
Des études internationales font état d’une forte prévalence de la bactériurie asymptomatique, des infections urinaires et de l’utilisation d’antimicrobiens pour la prévention et le traitement de ces infections chez les résidents de maisons de retraite. La résistance aux agents antimicrobiens augmente dans ce contexte, ce qui expose les résidents à un risque accru de développer des infections dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques.
Deux études menées dans le cadre d’un doctorat à la KU Leuven ont permis de confirmer ces résultats concernant la prévalence des infections urinaires, l’utilisation d’antimicrobiens et la résistance dans un contexte belge. En outre, cette étude a permis de mieux comprendre le diagnostic clinique et les politiques en matière d’infections urinaires dans les centres de soins résidentiels en Belgique. L’une des principales conclusions est que le diagnostic et le traitement des infections urinaires chez les femmes âgées sont complètement différents de l’approche adoptée chez les femmes préménopausées. Dans les centres de soins résidentiels, cette constatation nécessiterait un changement profond de la pratique, car les recommandations pour les soins primaires sont souvent extrapolées de manière quelque peu unilatérale à ce contexte.
Cet article présente les principaux résultats de la recherche doctorale mentionnée, ainsi que quelques conseils pratiques basés sur deux études.
Introduction
Tant au niveau international qu’en Belgique, les infections urinaires (IUs) et l’utilisation (peu judicieuse) de médicaments antimicrobiens pour la prévention et le traitement de ces infections chez les résidents des maisons de repos et de soins (MRS) font l’objet d’une attention croissante. La prévalence élevée de la bactériurie asymptomatique (présence de bactéries dans les urines sans symptômes) dans cette population, à savoir 40 %, a été démontrée par Biggel et al en 2017.(1) Dans cette étude belge, les résidentes les plus vulnérables (« fragiles «) souffrant d’incontinence urinaire et de démence présentaient un taux de bactériurie asymptomatique très élevé (jusqu’à 80%) et étaient souvent colonisées pendant de longues périodes.(2-4)
Les résidents des MRS courent un risque accru de développer une colonisation ou une infection par des bactéries résistantes aux antibiotiques pour les raisons suivantes : utilisation intensive et/ou répétée de médicaments antimicrobiens, et risque accru de transmission en raison des contacts de soins entre le personnel et les résidents, des contacts étroits entre les résidents et des déplacements fréquents entre le MRS et l’hôpital.(5) Des études (inter)nationales font état d’une augmentation de la prévalence des bactéries Gram-négatives résistantes chez les résidents des MRS.(6) Ce groupe de bactéries comprend les principaux agents pathogènes responsables des cystites et pyélonéphrites non compliquées, comme Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae. Le portage de ces organismes souvent multirésistants n’est pas dangereux en soi, mais les options thérapeutiques sont limitées lorsque ces bactéries sont à l’origine d’infections, telles que les infections urinaires.
Ces résultats ont donné lieu à une thèse de doctorat intitulée «Urinary tract infections in nursing home residents : Understanding the epidemiology and the clinical diagnosis and management», dans le but de mieux comprendre l’épidémiologie, d’une part, et le diagnostic clinique et la prise en charge des infections urinaires chez les résidents des MSR (belges), d’autre part.(7) Cet article se concentre sur deux études dans le cadre de la recherche doctorale : une étude épidémiologique et une étude diagnostique. Ces deux études sont expliquées dans cette publication car elles conduisent le plus à des conseils orientés vers la pratique.
Les questions de recherche de ces études étaient les suivantes :
Pour l’étude épidémiologique : quelle est la prévalence des infections associées aux soins et l’utilisation des antibiotiques dans les MSR belges ?
Quellle est la part de contribution des IUs ?(8)
Pour l’étude diagnostique : quelle est la valeur des symptômes et de la bandelette urinaire dans le diagnostic d’une infection urinaire ? Quelle est la valeur ajoutée de la protéine C-réactive (CRP) dans ce diagnostic ?(9)
Méthodes
Étude épidémiologique
Les données sur l’occurrence des IUs dans les MRS belges ont été obtenues à partir de résultats des études de prévalence ponctuelle HALT («Healthcare-associated infections and Antimicrobial use in European Long-Term care facilities»).(8,10) Ces études visaient à quantifier la fréquence des infections associées aux soins (c’est-à-dire les infections contractées au moins 48 heures après la (ré)admission dans l’établissement) et l’utilisation d’antimicrobiens systémiques au cours d’une seule journée aléatoire dans les établissements de soins chroniques européens, tels que les maisons de repos et de soins (MRS) pour personnes âgées. À ce jour, trois études européennes ont eu lieu : HALT en 2010, HALT-2 en 2013 et HALT-3 en 2016. À chaque fois, tous les MRS belges ont été invités à participer. Le personnel des MRS (par exemple, le médecin consultant coordinateur, l’infirmière (en chef) et/ou le coordinateur de la qualité) a mené l’étude en une seule journée. Des informations détaillées sur la méthodologie de l’étude sont disponibles ailleurs.(8) Lors de la collecte des données, les investigateurs locaux ont dû appliquer des définitions d’infection modifiées provenant des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et de la Society for Healthcare Epidemiology of America (SHEA). La définition utilisée pour une infection urinaire est présentée à la figure 1. À cette définition, un niveau d’infection «probable» a été ajouté pour les résidents présentant des signes/symptômes d’infection urinaire sans confirmation microbiologique, soit parce qu’aucune culture d’urine n’avait été effectuée, soit parce que le résultat était négatif ou non disponible dans la MRS.
Étude diagnostique
Au cours de l’étude diagnostique, pendant trois mois, le personnel des 11 MRS participants a été invité à remplir un questionnaire et à effectuer des tests diagnostiques pour chaque infection urinaire présumée.(9) Le personnel du MRS devait cocher tous les signes/symptômes indiquant une infection urinaire dans un questionnaire avant de procéder aux tests de diagnostic. En premier lieu, un échantillon d’urine devait être prélevé avant de commencer à administrer des antibiotiques. Immédiatement après le prélèvement de cet échantillon, une bandelette urinaire (Combur2 Test® LN ; Roche Diagnostics, Suisse) était immergée dans l’urine. L’échantillon d’urine devait ensuite être envoyé à l’un des deux laboratoires de microbiologie participant à cette étude. Immédiatement avant ou après la collecte d’urine, la CRP au point de service a été réalisée au sein de la MRS. Il s’agissait de pipeter une goutte de sang dans le capillaire des cartouches de test CRP et de l’analyser à l’aide de l’analyseur Afinion AS100 (Abbott, anciennement Alere Health).
Des informations détaillées sur la méthodologie de recherche sont disponibles ailleurs.(9) Dans cette étude, une infection urinaire suspectée a été définie comme tout signe ou symptôme ayant amené un médecin, une infirmière (en chef), une aide-soignante ou une autre personne (par exemple le résident lui-même) à suspecter une infection urinaire. Les infections urinaires ont été confirmées conformément à la définition de surveillance décrite dans Stone et al, c’est-à-dire la présence d’un nombre minimum de signes/symptômes et d’une culture d’urine positive, en tenant compte de la présence ou de l’absence d’une sonde à demeure (voir la définition dans la figure 1, mais sans tenir compte du niveau d’infection suspecté).
Sur la base des caractéristiques des tests (likelihood ratio) et des prévalences estimées, les tests et les symptômes ont été évalués pour leur caractère prédictif d’un résultat positif et négatif (diagrammes de Dumbbel, Microsof Excel 2016).
Résultats
Étude épidémiologique : taux de prévalence dans les maisons de repos belges en série
Au total, 107 (n=11911 résidents), 87 (n=8756 résidents) et 158 (n=16215 résidents) MRS ont participé à l’étude HALT, HALT-2 et HALT-3, respectivement.
Les infections urinaires constituent l’une des infections associées aux soins de santé les plus répandues.
Les études HALT ont montré qu’un jour donné, trois résidents du MRS sur 100 présentaient une infection associée aux soins de santé, c’est-à-dire une infection contractée par un résident au cours du processus de soins dans la MRS.(8) L’un de ces trois résidents avait une infection urinaire. Après les infections respiratoires, les infections urinaires sont les infections nosocomiales les plus fréquentes dans les MRS. La confirmation microbiologique du diagnostic, c’est-à-dire une culture d’urine positive en plus de symptômes suffisants, ne s’est produite que dans 58 % des infections urinaires signalées.
La moitié de l’utilisation des agents antimicrobiens est liée aux infections des voies urinaires
D’après les études HALT, l’utilisation de médicaments antimicrobiens systémiques semble augmenter lentement dans la MRS (prévalence médiane de 4,3 % en 2010 contre 5,0 % en 2016). (8)
Sur l’ensemble des traitements antimicrobiens administrés aux résidents des MRS étudiés, la moitié était liée à la prophylaxie ou au traitement d’IU. Dans les études HALT, plus de 75 % de l’utilisation prophylactique totale et environ 35 % de l’utilisation thérapeutique totale des médicaments antimicrobiens étaient liés aux IU (figure 2).
Dans ces études, près de la moitié des infections urinaires ont été traitées thérapeutiquement par un antibiotique de la classe des «autres médicaments antibactériens» (fosfomycine et nitrofurantoïne), suivie de la classe des quinolones. Le triméthoprime était rarement prescrit. La classe des «autres agents antibactériens» était également la plus fréquemment prescrite (>90%) pour la prévention des IUs. Le triméthoprime était peu prescrit comme uroprophylaxie.(8)
En outre, il a été constaté que la date de fin ou de révision du traitement de l’IU était généralement indiquée pour l’usage thérapeutique (>85%), mais qu’elle n’était connue que pour une minorité d’usages uroprophylactiques (<10%).(8,10)
Étude diagnostique : aperçu du diagnostic des infections urinaires dans les établissements de soins résidentiels
Onze MRS en Belgique, comptant au total 1 263 résidents, ont participé à l’étude diagnostique.
Dans cette étude, une infection urinaire présumée a été rapportée chez près d’un résident sur dix au cours de la période d’étude. Une confirmation de l’infection n’a cependant pu être établie que chez 12 % de ces cas suspects (n=16/137) (cf. définition d’une infection urinaire confirmée dans la figure 1). Alors qu’Escherichia coli prédomine dans une population de femmes préménopausées en bonne santé (80-90%), cette bactérie à Gram négatif reste toujours la cause la plus fréquente d’infection urinaire dans une population plus âgée, mais à des pourcentages inférieurs (60%).
Chez les patients âgés, d’autres bactéries à Gram-négatif telles que Proteus species (spp.), Klebsiella spp., Enterobacter spp. et Pseudomonas ou des bactéries à Gram-positif telles que Enterococcus spp. et Staphylococcus spp. ont été identifiées plus fréquemment. La proportion de germes responsables d’IU qui présentaient une résistance acquise à plusieurs classes d’antibiotiques s’élevait à 28%. (9)
Symptômes suggérant une infection des voies urinaires
Le symptôme qui faisait le plus souvent suspecter une infection urinaire était une «urine malodorante». Toutefois, ce symptôme, ainsi que le «changement de nature de l’urine», n’est pas évocateur en soi d’une infection urinaire dans cette population. En outre, des symptômes non spécifiques ou vagues ont été signalés plus souvent que des symptômes urinaires typiques, tels une douleur aiguë à la miction (‘dysurie’) ou l’augmentation de l’envie ou de la fréquence des mictions (pollakiurie). La fièvre n’a été rapportée que dans moins de 5 % des cas suspects.
Symptômes prédictifs des infections urinaires
Finalement, seuls deux symptômes réellement prédictifs d’une infection urinaire ont été trouvés dans l’étude diagnostique (figure 3). Les résidents qui présentaient une dysurie aiguë (douleurs à la miction) et une pubalgie aiguë (douleurs sus-pubiennes) étaient 10 à 15 fois plus susceptibles de souffrir d’une infection urinaire. La confusion en cas d’infection urinaire est encore très controversée. La confusion aiguë est souvent repris comme un symptôme évocateur faisant suspecter une infection urinaire. Toutefois, l’étude diagnostique prospective détaillée a révélé que les résidents qui présentaient une confusion aiguë étaient moins susceptibles de souffrir d’une infection urinaire. Il en va de même pour les urines malodorantes.
La valeur du test de la bandelette urinaire
Dans l’étude diagnostique, le test combiné de bandelette urinaire (nitrites et estérase leucocytaire) s’est avéré avoir une sensibilité et une spécificité de 94 % et 21 %, respectivement, par rapport à la combinaison des symptômes et d’une culture d’urine positive (cf. définition de l’infection urinaire confirmée, figure 1). Par conséquent, en raison de sa sensibilité élevée, la bandelette est utile pour exclure une infection urinaire lorsque le test est négatif, et ce tant pour les nitrites que pour l’estérase leucocytaire. Toutefois, en raison de sa faible spécificité, un test de bandelette urinaire positif est un mauvais indicateur diagnostic d’infection urinaire.
Recherche d’un biomarqueur
On a évalué la valeur du test au point de service (Point of Care test, POCT) de la protéine C-réactive (CRP), (associée ou non à des symptômes et/ou à une culture d’urine), pour le diagnostic d’infection urinaire chez les résidents âgés séjournant en MRS. Cependant, la sensibilité et la spécificité de l’analyse de la CRP, respectivement 60,0 % et 50,9 %, se sont avérés insuffisants. De plus, une valeur élevée de la CRP (>5 mg/L) n’a été retrouvée que dans à peine la moitié des cas d’infections urinaires suspectées.
Discussion – conseils pour la pratique
Cette thèse de doctorat se limitait à l’environnement des maisons de soins résidentiels. Compte tenu des caractéristiques démographiques des résidents de MRS – le ratio hommes/femmes varie d’un pour quatre à un pour cinq – un plus grand nombre de résidentes ont été incluses dans cette étude. En outre, les infections urinaires non traitées rapportées dans cette étude sont supposées être des infections légères (par exemple, cystites), étant donné que les épisodes d’infection plus sévères tels que pyélonéphrites et sepsis à point de départ urinaire (urosepsis) sont moins fréquemment rencontrés dans le contexte des MRS et plus susceptibles de nécessiter une hospitalisation. Enfin, les sondes urinaires sont rares (3 % des résidents en 2016) dans les MRS belges et la présence de ce dispositif n’a pas été étudiée au cours des sept jours précédant le jour de l’étude.(8) Par conséquent, aucune distinction n’a pu être établie entre les IUs associés à un cathéter et celles non associées à un cathéter. Ceci implique que les résultats et les recommandations formulées concernent principalement les résidentes des MRS souffrant de cystite aiguë en général, et ne sont donc pas limitées ou axées sur la cystite associée aux cathéters.
Les réflexions suivantes ont été formulées à l’intention des prestataires de soins de santé pour personnes âgées résidant en MRS – en particulier les femmes présentant une infection des voies urinaires:
Diagnostic d’une infection urinaire présumée
Commencer par l’analyse et par l’interprétation des symptômes
L’étude diagnostique a montré que la présence d’une dysurie aiguë ou d’une douleur sus-pubienne aiguë sont les principaux symptômes pouvant mettre en évidence une infection urinaire (chez un résident du MRS sans sonde urinaire). (Figure 3)
Ne demander une culture microbiologique d’urine que lorsque cela est indiqué
Compte tenu de la prévalence élevée d’une bactériurie et d’une pyurie asymptomatique chez les personnes âgées, un diagnostic d’infection urinaire ne peut se baser uniquement sur un résultat de culture d’urine positif dans une population MRS.(1) Par conséquent, la présence de signes et de symptômes cliniques localisés est une condition préalable importante pour demander une culture d’urine.
En raison de la plus grande diversité de germes responsables d’infections urinaires et des taux de résistance plus élevés, nous recommandons d’effectuer une culture d’urine dans cette population.
Prélever un échantillon d’urine selon les règles de l’art
L’obtention d’un prélèvement microbiologique de qualité est essentielle pour garantir l’exactitude des résultats d’analyse et un bon diagnostic. Chez les personnes âgées le bon suivi des directives de prélèvement d’urine peut être compliqué à cause de limitations physiques ou cognitives ou par l’incontinence. La collecte, le stockage réfrigéré et le transport corrects d’un échantillon d’urine sont essentiels pour réduire les erreurs pré-analytiques et prévenir la contamination de la culture d’urine. Le personnel de MRS devrait être formé aux techniques appropriées à cette fin.
Si possible, prélever un échantillon d’urine propre par la technique à mi-jet (mid-stream) pour la culture. Effectuer un cathétérisme intermittent (technique in-and-out) en cas de forte suspicion d’infection urinaire et d’impossibilité de prélever un échantillon d’urine propre à mi-jet.
Absence de valeur ajoutée des tests de dépistage aux points de service (POCT)
Le recours aux bandelettes urinaires chez les résidents en MRS doit être découragé car les indications d’utilisation et l’interprétation des résultats sont souvent incorrects. La bandelette urinaire n’est utile que comme test d’exclusion d’une infection urinaire en cas de résultats négatifs pour les nitrites et pour l’estérase leucocytaire.
En outre, la CRP au point de service ne contribue guère au diagnostic de l’infection urinaire dans une population âgée de MRS.
Le tableau 1 résume les principales recommandations en matière de diagnostic.
Tableau 1 : Recommandations en matière de diagnostic des infections urinaires dans les établissements de soins résidentiels
CRP : protéine C-réactive
Traitement de l’infection urinaire
Abstention de traitement antibiotique pour les cas de bactériuries asymptomatiques
La prévalence de la bactériurie asymptomatique est élevée dans la population âgée de la MRS. Les études menées dans plusieurs populations, y compris les personnes âgées, ne font pas état d’avantages liés au traitement antimicrobien de la bactériurie asymptomatique. Cependant, l’utilisation d’un traitement antimicrobien dans la bactériurie asymptomatique contribuera à l’augmentation de la résistance aux antimicrobiens, à des coûts plus élevés et à un risque accru d’effets secondaires.(13)
Recommandations nationales pour le choix de la thérapie antimicrobienne
Il est important de suivre les recommandations nationales pour le traitement des infections urinaires afin d’optimiser au niveau individuel l’efficacité des traitements et le pronostic clinique des patients résidents et aussi en matière de santé publique pour réduire les risques liés à l’augmentation de la résistance aux antimicrobiens dans la société. Le guide BAPCOC pour la pratique ambulatoire et le formulaire de soins aux personnes âgées recommandent tous deux le triméthoprime oral (préparation magistrale ; 300 mg par jour en 1 dose pendant 3 jours chez les femmes) comme «traitement de premier choix» de la cystite chez les plus âgées et chez les patients souffrant d’insuffisance rénale. Le Formulaire de soins aux Personnes Agées déconseille également l’utilisation de la nitrofurantoïne et de la fosfomycine chez les personnes âgées. La nitrofurantoïne doit être évitée en raison de la possibilité d’effets secondaires graves (neuropathies périphérique, hépatite, fibrose pulmonaire, parfois d’étiologie immunoallergique) et d’un risque de toxicité plus élevé en cas d’insuffisance rénale. L’utilisation de la fosfomycine n’est pas recommandée en raison d’un manque de preuves dans une population âgée. Il est important de mentionner que les recommandations actuelles sont en cours de discussion et qu’elles feront l’objet de révisions dans les années à venir. La mise en œuvre des recommandations est importante mais semble difficile ; les études HALT ont montré des divergences considérables entre l’utilisation des antibiotiques dans la pratique courante et les recommandations nationales actuelles. (8)
Enregistrement systématique de la date de fin ou de révision de la thérapie antimicrobienne.
En cas d’administration d’un traitement antimicrobien, il est important de toujours noter une date de fin ou de révision dans le dossier médical et/ou infirmier du résident. Les études HALT ont montré que cette date de fin ou de révision manquait souvent, en particulier pour les traitements prophylactiques.
Mesures non pharmacologiques de prévention des infections urinaires
Il est préférable d’envisager des mesures non-pharmacologiques telles qu’un apport hydrique adéquat et une bonne hygiène personnelle avant d’entamer une uroprophylaxie médicamenteuse. En cas d’IU récurrentes (3 épisodes au cours des 12 derniers mois ou 2 épisodes au cours des 6 derniers mois), l’utilisation locale d’estriol a un effet prouvé chez les femmes et est sélectionnée comme premier choix dans les recommandations actuelles du formulaire de soins aux personnes agées. Il n’existe actuellement pas de preuves suffisantes quant à l’effet bénéfique de la canneberge, de la vitamine C et des probiotiques à base de lactobacillus pour la prévention des infections urinaires dans une population âgée.(14)
Le tableau 2 résume les principales recommandations thérapeutiques.
Tableau 2 : Recommandations thérapeutiques – infections urinaires dans les MRS
BAPCOC : Belgian Antibiotic Policy Coordination Committee
Perspectives
Il faudra à l’avenir trouver un moyen de distinguer la bactériurie asymptomatique des IUs. Ceci est particulièrement important pour les résidents souffrant de troubles cognitifs ou incapables de communiquer leurs symptômes, une sous-population importante dans le MRS qui ne peut certainement pas être ignorée.
Dans la thèse de doctorat discutée ici, la culture d’urine classique avec sa valeur seuil discutable de 105 unités de formation de colonies de bactéries par ml (cfu/ml) a été utilisée dans chaque cas. Des études complémentaires sont nécessaires sur la valeur ajoutée des nouvelles techniques de laboratoire (par exemple le test de réaction en chaîne par polymérase, la spectrométrie de masse au laser ou le séquençage de nouvelle génération) et des biomarqueurs dans le diagnostic de l’infection urinaire en général et plus particulièrement chez les patients âgés. Toutefois, le diagnostic de l’infection urinaire restera toujours basé sur une combinaison d’éléments incluant l’anamnèse, l’évaluation clinique et des analyses complémentaires (tests rapides effectués au chevet du patient (POCT) ou analyse en laboratoire).
Dans l’attente de nouvelles technologies de diagnostic et de biomarqueurs permettant d’améliorer la précision diagnostique d’une infection urinaire chez les personnes âgées, des stratégies à court terme sont nécessaires pour prévenir les infections urinaires non traitées et réduire l’utilisation inappropriée d’agents antimicrobiens. Ces stratégies devraient être axées non seulement sur l’amélioration du comportement des médecins en matière de prescription excessive, mais aussi sur celui des infirmières et leur évaluation des symptômes de l’infection urinaire aiguë. Les médecins consultants coordonnateurs jouent un rôle clé dans la mise en œuvre des programmes de gestion des antimicrobiens. La campagne «Infections urinaires dans les centres de soins résidentiels», lancée par le département des soins en décembre 2023, apporte un soutien à cet égard.(15) L’objectif principal de cette campagne est de réduire la prescription inutile d’antibiotiques dans les IUs et de faire des choix éclairés lors de la collecte d’échantillons d’urine.
Conclusion
Les infections urinaires non traitées chez les femmes âgées résidant dans les MRS nécessitent une approche diagnostique et thérapeutique bien distincte de celle préconisées chez les femmes pré-ménopausées, pour lesquelles les recommandations en matière de soins primaires s’appliquent. La bactériurie asymptomatique – fréquente dans les MRS – ne devrait pas être traitée, mais il est difficile de la distinguer des infections urinaires aiguës dans une sous-population de résidents des MRS souffrant de troubles cognitifs ou de problèmes de communication. La dysurie aiguë et la douleur sus-pubienne aiguë sont les principaux symptômes qui peuvent être suivis d’une culture d’urine à partir d’un échantillon recueilli selon les règles de bonne pratique (lege artis). La bandelette urinaire n’est utile que pour exclure une infection urinaire lorsque le résultat est négatif à la fois pour les nitrites et pour l’estérase leucocytaire.
En cas d’infection urinaire confirmée, des antibiotiques peuvent être administrés si nécessaire. Le guide national BAPCOC, qui fera l’objet d’une large révision en 2024-2025, résume les preuves scientifiques et soutient le prescripteur dans le choix du traitement. Lors de l’instauration d’un traitement, la date de fin ou de révision doit toujours être notée dans le dossier. Pour la prévention des infections urinaires, des mesures non pharmacologiques simples telles qu’une bonne hydratation et une bonne hygiène personnelle doivent être appliquées en première intention.
Communications
Conflit d’intérêts
Les auteurs ne mentionnent aucun conflit d’intérêt.
Soutien financier
Le doctorat du premier auteur, Indira Coenen, est financé par le Fonds Wetenschappelijk Onderzoek Vlaanderen (98649).
Responsabilité et droits d’auteur
Tous les auteurs déclarent accepter les règles imposées en matière de responsabilité et de droits d’auteur.
Références
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2. Ricchizzi E, Latour K, Kärki T, Buttazzi R, Jans B, Moro ML. Antimicrobial use in European long-term care facilities: results from the third point prevalence survey of healthcare-associated infections and antimicrobial use, 2016 to 2017. Eurosurveillance. 2018 Sep 21;23.
3. Nace DA, Drinka PJ, Crnich CJ. Clinical Uncertainties in the Approach to Long Term Care Residents With Possible Urinary Tract Infection. J Am Med Dir Assoc. 2014;15(2):133–9.
4. Ashraf MS, Gaur S, Bushen OY, Chopra T, Chung P, Clifford K, et al. Diagnosis, Treatment, and Prevention of Urinary Tract Infections in Post-Acute and Long-Term Care Settings: A Consensus Statement From AMDA’s Infection Advisory Subcommittee. J Am Med Dir Assoc. 2020 Jan 1;21(1):12-24.e2.
5. Nicolle LE, Strausbaugh LJ, Garibaldi RA. Infections and Antibiotic Resistance in Nursing Homes [Internet]. Vol. 9, CLINICAL MICROBIOLOGY REVIEWS. 1996. Available from: https://journals.asm.org/journal/cmr
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8. Latour K, Catry B, Devleesschauwer B, Buntinx F, De Lepeleire J, Jans B. Healthcare-associated infections and antimicrobial use in Belgian nursing homes: results of three point prevalence surveys between 2010 and 2016. Archives of Public Health. 2022 Dec 1;80(1).
9. Latour K, De Lepeleire J, Catry B, Buntinx F. Nursing home residents with suspected urinary tract infections: a diagnostic accuracy study. BMC Geriatr. 2022 Dec 1;22(1).
10. Int Panis L, Latour K. Puntprevalentiestudie van zorginfecties en antimicrobieel gebruik in chronische zorginstellingen (HALT-2021). Brussels; 2022.
11. Midthun SJ, Paur R, Lindseth G. Urinary Tract Infections: Does the Smell Really Tell? J Gerontol Nurs. 2004;30:4–9.
12. Jump RLP, Crnich CJ, Nace DA. Cloudy, Foul-Smelling Urine Not a Criteria for Diagnosis of Urinary Tract Infection in Older Adults. Vol. 17, Journal of the American Medical Directors Association. Elsevier Inc.; 2016. p. 754.
13. Zalmanovici Trestioreanu A, Lador A, Sauerbrun-Cutler MT, Leibovici L. Antibiotics for asymptomatic bacteriuria. Vol. 2015, Cochrane Database of Systematic Reviews. John Wiley and Sons Ltd; 2015.
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15. Campagne urineweginfecties voor woonzorgcentra [Internet]. 2023 [cited 2024 Jan 17]. Available from: https://www.zorg-en-gezondheid.be/campagne-urineweginfecties-voor-woonzorgcentra
Figure 1 : Définitions des infections des voies urinaires suspectées et confirmées
Cfu/ml = unités formant des colonies par millilitre
* Fièvre : 1) une fois > 37,8°C par voie orale/ tympan/aisselle ou 2) à plusieurs reprises > 37,2°C par voie orale/sous l’aisselle ou > 37,5°C par voie rectale ou 3) > 1,1°C par rapport à la température normale du résident à un endroit donné (voie orale, tympan, aisselle).
** Leucocytose : 1) neutrophilie > 14 000 leucocytes/mm3 ou 2) déplacement vers la gauche (>6% de noyaux de bâtonnets ou ≥ 1500 noyaux de bâtonnets/mm3 )
Figure 2 : Indications pour la prescription d’antimicrobiens chez les résidents des maisons de repos, études HALT belges, 2010-2026 (8)
Figure déjà publié dans l’article : Latour K, Catry B, Devleesschauwer B, Buntinx F, De Lepeleire J, Jans B. Healthcare-associated infections and antimicrobial use in Belgian nursing homes : results of three point prevalence surveys between 2010 and 2016. Archives of Public Health. 2022 Dec 1;80(1).
Figure 3 : Valeur diagnostique des signes et symptômes en cas de suspicion d’infection des voies urinaires (9)
Figure déjà publiée dans l’article : Latour K, De Lepeleire J, Catry B, Buntinx F. Nursing home residents with suspected urinary tract infections:
a diagnostic accuracy study. BMC Geriatr. 2022 Dec 1;22(1); traduit en français.
Nouveautés
Agenda scientifique
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Society for Health Care Epidemiology of America (SHEA)