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Innovations en matière d’hygiène de base au sein de l’unité de soins intensifs 1

G. Demaiter - Infirmier-hygiéniste hospitalier, AZ Groeninge Kortrijk, membre du groupe de travail sur l'hygiène hospitalière de la NVKVV

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Exposé donné au congrès annuel de la VVIZV (Vlaamse vereniging voor Intensieve Zorgverpleegkundigen, association flamande des infirmiers de soins intensifs) qui s’est tenu le 12 décembre 2014  à Gand.

Introduction
L’étude scientifique s’est de plus en plus penchée sur la gestion des maladies infectieuses ces 10 dernières années, à en croire plusieurs publications de la littérature biomédicale. Pourtant, de nombreux aspects de la prévention d’infections liées aux soins reposent sur une «opinion d’expert» et l’assise scientifique est réduite, voire absente [1]. D’autre part, les nouvelles conceptions « factuelles » ne sont pas – ou du moins pas assez rapidement – mises en œuvre.

Vers une révolution scientifique ?

Si jadis l’accent était mis notamment sur des principes de gestion verticale des maladies infectieuses, aujourd’hui il est placé davantage sur la gestion horizontale de celles-ci [2,3]. La progression des microorganismes multirésistants aux antimicrobiens n’y est pas étrangère. Un porteur sain d’un germe multirésistant n’est pas toujours détecté (à temps) mais représente néanmoins une source potentielle de contamination pour de nombreux patients vulnérables dans l’hôpital.Une politique de prévention verticale des infections vise à empêcher le portage, l’infection et la transmission d’agents pathogènes spécifiques. Le programme de « recherche et destruction des SARM », largement répandu en Hollande et en Belgique, en est un bel exemple. En revanche, le degré de vaccination contre la grippe saisonnière chez les prestataires de soins n’est à ce jour pas aussi satisfaisant. Le chemin est encore long, pour de nombreux établissements, pour arriver au quota de 80% en 2020 posé comme principe par la Flandre.
Dans la stratégie de prévention horizontale des infections, l’accent est mis sur la réduction généralisée du risque infectieux. Cela ne signifie pas cibler un pathogène spécifique mais plutôt mettre en oeuvre systématiquement une série de mesures d’hygiène générales visant à protéger les personnes contre un plus large éventail de pathogènes. L’hygiène des mains, le nettoyage/la désinfection de l’environnement, l’implémentation de care-bundles et une politique d’utilisation rationnelle et restrictive des antibiotiques font partie des stratégies horizontales les plus importantes pour prévenir les infections liées aux soins.
Les politiques de prévention des infections horizontale et verticale ne s’excluent pas mutuellement, elles sont toutes les deux nécessaires. Au sein d’un contexte épidémique normal et avec les moyens limités dont les équipes disposent actuellement pour la gestion des maladies infectieuses, une approche horizontale offre peut-être le meilleur résultat (en fonction de l’efficience et de l’efficacité) [3].

Hygiène des mains : de la mesure du degré de connaissance à la mesure de l’observance – où se situe la frontière entre ce qui est souhaitable et ce qui est faisable ?

L’hygiène des mains reste sans aucun doute la plus importante mesure horizontale de prévention des infections. La relation entre une bonne hygiène des mains et la prévention des infections liées aux soins n’est pas neuve et reste indubitablement d’actualité après 150 ans [4]. Il reste pourtant encore un écart considérable entre connaissance et attitude [5]. L’introduction d’un nouveau moyen d’enseigner, comme le e-learning, peut augmenter substantiellement le niveau de connaissances de prestataires de soins en peu de temps (tant sur le plan des effets immédiats que des effets résiduels de l’enseignement)[6], mais elle ne garantit pas pour autant la mise en pratique des connaissances fraichement acquises. Des campagnes fédérales successives pour l’hygiène des mains ont entrainé une augmentation substantielle du respect de l’hygiène des mains en Belgique (5 moments OMS), tant au niveau global de l’hôpital que spécifiquement dans les services de soins intensifs. On pose rarement des questions critiques dans cette success story. Aucune étude de validation des données récoltées n’est à l’ordre du jour. Les observateurs ne doivent pas apporter de preuve formelle de leurs capacités d’observation et d’enregistrement. Il est totalement fait fi d’une quelconque influence de l’effet Hawthorne, inévitable en cas d’observation directe du respect de l’hygiène des mains. De récentes publications donnent une idée plus claire du nombre d’opportunités d’hygiène des mains suivant les 5 moments OMS dans différents cas de figure [7,8,9] ou donnent des conseils en matière de nombre minimal d’observations à mener en fonction de l’amélioration de la qualité visée et de la durée maximale des périodes d’observation en fonction de la minimisation de l’effet d’Hawthorne [10].

Par rapport à l’hygiène des mains, la question se pose de savoir quelle marge de gain est encore possible au sein de l’actuel ratio infirmier/patients dans les services de soins intensifs. Les résultats de l’étude MOSAR-ICU sont encourageants car laissent apparaitre que la mise en œuvre d’un programme « 5 moments OMS pour l’hygiène des mains » peut mener à une amélioration rapide et durable du respect de l’hygiène des mains (phase de départ : 52%, phase 2: 69%, phase 3: 77%). Cette success story peut potentiellement s’expliquer par le recours fréquent à un feed-back structuré. Il est également possible d’améliorer l’hygiène des mains pendant les coups de feu, mais on se heurte en même temps inévitablement à une limite du niveau maximal possible d’hygiène des mains [11].

Utilisation universelle des gants/du tablier : LA solution ? 

Ce sujet reste controversé. Une récente étude randomisée en clusters sur 20 USI (unités de soins intensifs) pour patients adultes compare l’utilisation universelle de gants et de blouses jetables à l’utilisation de ces mêmes équipements de protection dans les mesures d’isolement de contact [12]. Aucune différence significative n’a été notée entre les deux interventions dans les résultats de l’étude primaire (acquisition de SARM ou ERV (Enteroccoques résistants à la vancomycine), probablement parce dans cette étude les deux approches ont abouti à un meilleur respect de l’hygiène des mains. L’utilisation de gants et de tabliers a permis de réduire de plus en plus les contacts entre patients et prestataires de soins sans pour autant donner lieu à des incidents de sécurité patient indésirables et évitables. L’association des coûts et investissements en temps supplémentaires que doivent consentir les prestataires de soins à l’utilisation universelle des gants fait qu’une implémentation de cette approche a peu de chances d’aboutir au sein et en dehors de l’unité des soins intensifs

Toilette quotidienne à la chlorhexidine ?

La décolonisation des patients à l’aide de gluconate de chlorhexidine (GCH) dans les services à haut risque semble être une approche horizontale très prometteuse. Un lavage quotidien au GCH entraine une baisse du bioburden (charge biologique) chez le patient, dans l’environnement et sur les mains des prestataires de soins (pour autant que ces derniers ne portent pas de gants). Deux synthèses méthodiques (SM) offrent un résumé des « bénéfices sanitaires » obtenus [13,14]. Selon la SM d’O-Horo (basée sur 12 études), il apparait que le lavage quotidien au GCH (solution savonneuse ou lingettes imprégnées) des patients aux USI entraine une incidence plus faible des infections des vaisseaux sanguins, dont les septicémies liées aux voies centrales. Toutefois, il convient de rester prudent dans le sens où seul 1 ECR est repris dans la méta-analyse, qu’il y a un biais potentiel de la publication, qu’on manque de résultats d’étude formulés de manière univoque et que les toilettes au GCH sont assez variables dans leur exécution. Dans la SM de Derde et al. (basée sur 7 études), il est conclu que le lavage au GCH dans différents services de soins intensifs a une efficacité prouvée dans la prévention du portage et peut-être même des bactériémies aux SARM et ERV. L’efficacité en matière de prévention de portage de et d’infections à bacilles à Gram négatif multi-résistants n’est pas prouvée.

SARM : le screening actif et la mise en isolement sont-ils encore à l’ordre du jour ?

Plusieurs études de haut niveau récentes promeuvent l’idée d’une décontamination universelle des SARM dans les USI avec ou sans screening et isolement de contact. Soulignons l’étude REDUCE MRSA de Huang et al. [15] Dans un essai randomisé en clusters, les chercheurs ont comparé 3 approches potentielles pour la prévention des SARM :

1) screening actif et isolement de contact ;
2) screening actif, isolement de contact et décontamination ciblées des SARM ;
3) décontamination universelle de tous les patients des USI aux SARM.

La dernière approche s’est avéré la plus efficace, avec une réduction de 37% des échantillons cliniques positifs aux SARM et une réduction de 44% des infections sanguines. Dans l’analyse de détail, on impute principalement la baisse des infections sanguines à une moindre prévalence de la flore commensale cutanée à l’origine des infections sanguines et non à une prévalence significativement moindre d’infections sanguines à SARM. Les critiques à cette étude pointent surtout du doigt les conséquences d’une utilisation excessive du gluconate de chlorhexidine et principalement de mupirocine, cette dernière conduisant inévitablement à terme à une résistance indésirable.
L’étude MOSAR-ICU déjà mentionnée plus haut suggère qu’aucun effet favorable supplémentaire n’est à attendre d’un screening universel et d’un isolement de contact dans les USI où le respect de l’hygiène des mains est déjà élevé et le lavage au gluconate de chlorhexidine déjà bien instauré [16].
En dépit de ces récentes études, la plupart des experts européens continuent de s’accrocher à la politique classique de recherche (screening ciblé ou universel) & de destruction (isolement de contact et décontamination) des SARM [17]. 

Rôle de l’environnement : plus important qu’on ne le pense ?

Il apparait de plus en plus clair que des surfaces contaminées jouent un rôle important dans la transmission notamment du Clostridium difficile, des ERV, des SARM, des Acinetobacter baumanni multirésistants, des Klebsiella pneumoniae multirésistants et des norovirus [18]. Tous ces microorganismes peuvent survivre des heures et des jours dans l’environnement, rendant ainsi possible une transmission indirecte. L’enquête [19,20] illustre que la désinfection de routine et terminale effectuée par les membres de l’équipe de nettoyage est souvent inadéquate (<50% des surfaces sont bien nettoyées/désinfectées). Il en va de même pour les appareils médicaux que les infirmiers nettoient et désinfectent [21]. L’objectivation de «l’erreur humaine» dans le nettoyage va dans le sens de la mise en œuvre de nouvelles technologies éprouvées telles que la désinfection terminale par vaporisation de peroxyde d’hydrogène pour certaines indications bien définies (ERV, Acinetobacter baumannii…)[22,23] De nouvelles technologies sont également incorporées dans des programmes-qualité pour le nettoyage tels que les ATP-métries et l’utilisation de systèmes de marquage fluorescent. Elles permettent un feed-back immédiat au personnel de nettoyage concernant le niveau de nettoyage atteint des surfaces qui sont très fréquemment touchées et ainsi une amélioration du processus de nettoyage.
Récemment, la norme européenne en vigueur pour le nettoyage et la désinfection des récipients à déjections humaines a également été remise en question. Des exigences plus élevées quant à la manière de mettre en œuvre la désinfection thermique (Valeur A0 = 600) doivent veiller à ce que des microorganismes relativement thermorésistants tels que l’ERV et l’oxa-48 Klebsiella pneumoniae soient suffisamment neutralisés [24].

Conclusion

Il n’existe pas d’approche universelle dans le domaine du contrôle des maladies infectieuses. Les patients ne peuvent être protégés au maximum contre les infections liées aux soins que si le programme de lutte contre les maladies infectieuses se base sur l’estimation du risque local, la mise en œuvre de projets qualité PDCA (signification ? Plan – Do – Check – Act) factuels et la surveillance des indicateurs de qualité du processus et des résultats obtenus. D’autre part, dans le monde globalisé dans lequel nous vivons, nous devons toujours rester attentifs aux menaces d’épidémie venant de l’étranger (SRAS, grippe aviaire, syndrome respiratoire du Moyen-Orient, Ebola…) et être proactifs.
La prévention des infections est une science pratique, une partie des connaissances se base sur l’expérience et le bon sens, l’autre sur la recherche scientifique (en constante expansion mais souvent difficile à financer). On conserve un mélange de mesures horizontales et verticales. Les règles élémentaires d’hygiène de base n’ont peut-être rien de sexy dans un environnement high-tech comme une USI, mais elles n’en sont pas moins essentielles pour garantir des soins de qualité et sûrs au patient.

Références

[1] A compendium of strategies to prevent healthcare-associated infections in acute care hospitals: 2014 updates, http://www.shea-online.org/PriorityTopics/CompendiumofStrategiestoPreventHAIs.aspx
[2] Wenzel RP, Edmond MB, Infection control: the case for horizontal rather than vertical interventional programs, International Journal of Infectious Diseases, 2010,14(S4) : 3-5.
[3] Septimus E et al., Approaches for preventing healthcare-associated infections: go long or go wide?, Infection Control and Hosp Epidem, 2014, 35 (7) : 797-801.
[4] Kirkland KB et al., Impact of a hospital-wide hand hygiene initiative on healthcare-associated infections: results of an interrupted time series, BMJ Qual Saf, 2012, 21 : 1019-1026.
[5] Ellingson K et al., Strategies to prevent healthcare-associated infections through hand hygiene, Infection Control and Hosp Epidem, 2014, 35 (8) : 937-960
[6] Labeau S, Evidence-based prevention of healthcare-associated infection, PHD, University of Gent, 2013.
[7] Biddle C, Shah J, Quantification of anesthesia providers’ handhygiene in a busy metropolitan operating room: what would Semmelweis think, Am J Infect Control, 2012, 40 : 756-759.
[8] Munoz-Price LS et al., Interactions between anesthesiologists and the environment while providing anesthesia care in the operating room, Am J Infect Control,2013, 41: 922-944.
[9] Diller T et al., Estimation of hand hygiene opportunities on an adult medical ward using 24-hour camera surveillance: validation of the HOW2 benchmark study, Am J Infect Control, 2014, 42 : 602-607.
[10] Yin J et al., Establishing evidence-based criteria for directly observed hand hygiene compliance monitoring programs: a prospective, multicenter cohort study, Infection Control and Hosp Epidem, 2014, 35 (9) : 1163-1168.
[11] Derde LPG, Controlling antibiotic resistance in the ICU, PHD, University of Utrecht, 2013.
[12] Harris AD, Pineless L, Belton B et al., Universal glove and gown use and acquisition of antibiotic-resistant bacteria in the ICU: a randomised trial, JAMA 2013, 310 (15) :1571-1580.
[13] O’Horo JC et al., The efficacy of daily bathing with chlorhexidine for reducing healthcare-associated bloodstream infections: a meta-analysis, Infection Control and Hosp Epidem, 2012, 33 (3) : 257-267.
[14] Derde LP, Deutzenberg MJ, Bonten M., Chlorhexidine body washing to control antimicrobial-resistant bacteria in intensive care units: a systematic review, Intensive Care Med, 212, 38 : 931-939.
[15] Huang SS, Septimus E, Kleinman K et al., Targeted versus universal decolonization to prevent ICU infection, N Engl J Med, 2013, 368 :2255-2264.
[16] Derde LPG et al., Interventions to reduce colonization and transmission of antimicrobial-resistant bacteria in intensive care units: an interrupted time series study and cluster randomized trial, Lancet Infect Dis. Jan 2014, 14(1) : 31-39.
[17] Köck R et al., Systematic literature analysis and review of targeted preventive measures to limit healthcare associated infections by methicillin-resistant Staphylococcus aureus, Eurosurveillance, 2014, Volume 19, Issue 29, http://www.eurosurveillance.org/ViewArticle.aspx?ArticleId=20860
[18] Carling PC, Huang SS, Improving healthcare environmental cleansing and disinfection: current and evolving issues, Infection Control and Hosp Epidem,2013, 34 (5) : 507-513.
[19] Carling PC, Parry MF, von Beheren SM, Healthcare environmental Hygiene Study Group. Identifying opportunities to enhance environmental cleaning in 23 acute care hospitals, Infection Control and Hosp Epidem, 2008, 29 : 1-7.
[20] Goodman ER et al., Impact of environmental cleaning intervention on the presence of methicillin-resistant Staphylococcus aureus and vancomycin-resistant enterococci on surfaces in intensive care unit rooms, Infection Control and Hosp Epidem, 2008, 593-599.
[21] Havill NL et al., Cleanliness of portable medical equipment disinfected by nursing staff, Am J Infect Control, 2011, 39 : 602-604.
[22] Passaretti CL et al., An evaluation of environmental decontamination with hydrogen peroxide vapor for reducing the risk of patient acquisition of multidrug-resistant organisms, Clin Infect Dis, 2013, 56 (1) : 27-35.
[23] Falagas ME et al., Airborne hydrogen peroxide for disinfection of the hospital environment and infection control: a systematic review, Journal of Hosp Infect, 2011, 78 :171-177.
[24] van der Velden LB, Thermal disinfection of bedpans: European ISO 15883-3 guideline requirements are insufficient to ensure elimination of VRE and OXA-48 outbreak strains, ICPIC 2013, abstract nr. 0066.

 

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