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Audit de pratiques de la gestion des cathéters centraux dans les unités de soins des hôpitaux du Hainaut

Ph P. Schatt - Microbiologie et Hygiène hospitalière, CNDG Gosselies Dr S. Milas - Maladies Infectieuses et Hygiène hospitalière, CHU Tivoli.

analyse

Introduction  

Les infections septicémiantes associées aux cathéters centraux (CLABSI) constituent un problème de santé publique et font partie, dans de nombreux pays, des programmes prioritaires pour la maîtrise des infections associées aux soins (1-4)

En Belgique, on estime à 2.1/10 000 jours -patients le nombre de CLABSI observées dans  les unités de soins (5). Ces infections ont un impact sur la morbidité des patients et une mortalité comprise entre 12 et 25% (6). Les CLABSI prolongent la durée de séjour de 7,5 à 25 jours et sont responsables d’une augmentation des coûts des soins de santé (3, 6). La plupart de ces infections sont évitables par le respect de bonnes pratiques de soins, et ce depuis l’insertion du cathéter jusqu’au maintien de la ligne veineuse (1-7). L’étude de Pronovost a montré que tendre vers le risque «zéro CLABSI» était possible par l’observance d’un certain nombre de recommandations (8). 

Dans la littérature, différentes approches pour diminuer l’incidence des CLABSI ont été publiées. Les «care bundles», centrés sur l’insertion du cathéter ou plus rarement sur la gestion veineuse ont montré leur efficacité pour diminuer l’incidence des CLABSI (9-10). Malheureusement, leur implémentation au quotidien  est  lourde car elle implique un surplus de travail pour les équipes soignantes.

Des approches  multidimensionnelles ont également montré leur efficacité mais sont encore plus complexes  à implémenter (11-13)

Dans ce contexte, une partie des membres de la Plateforme régionale d’hygiène hospitalière du Hainaut (PFRHHH) a décidé de réaliser un audit de pratiques concernant la gestion des cathéters centraux.  L’objectif était de mener une action commune pour la prévention des CLABSI. Cette approche était beaucoup plus simple à mettre en place que les méthodologies décrites plus haut.

Le but de l’audit n’était pas de mesurer un taux d’infection de cathéter et de quantifier son éventuelle diminution, mais d’évaluer la qualité des soins pour le maintien des lignes de perfusion et de repérer les unités les plus à risques de CLABSI.  

Méthodologie 

Choix des hôpitaux et du type d’action pour la prévention des CLABSI 

L’audit de pratiques a été réalisé dans 7 hôpitaux membres de la PFRHHH (8 sites). Ce travail reposait donc sur le projet des membres de réaliser une action commune dans la prévention des CLABSI. Chaque hôpital était libre ensuite de développer dans son institution d’autres actions pour la prévention des CLABSI.

Période de l’audit 

Le projet a été présenté en séance de la PFRHHH en février 2014 et l’audit s’est déroulé du 6 mai au 19 juillet 2014.

Elaboration de l’audit

L’objectif de l’audit était de réaliser une «photo instantanée» de la gestion des voies centrales durant la période «post-insertion» du cathéter. Il devait être réalisé un jour donné (pour l’entièreté d’une unité de soins) parmi les unités éligibles de l’institution. Pour la récolte des données administratives, le protocole de l’audit s’est inspiré du «Point Prevalence Survey of Healthcare Associated Infections and Antimicrobial use in European Acute care Hospital». Le choix des services audités s’est porté sur les unités de soins d’un hôpital aigu, à l’exception de la dialyse, du quartier opératoire, de l’hôpital de jour et de la néonatologie. Seuls les patients porteurs d’un cathéter central (KTVC) dans  ces unités étaient observés.

L’élaboration de la «check-list» des points critiques à contrôler s’est inspirée de «care bundles post insertion» et de différentes recommandations de bonnes pratiques pour la prévention des CLABSI : SHEA/IDSA Practice Recommendations (7), Institute for Healthcare Improvement Central line bundle (14), les IDSA guidelines (4) et les recommandations de la SFHH (15)

Les points principaux suivants étaient  contrôlés: gestion du pansement du KTVC (aspect, date du changement), gestion des tubulures/robinets, hygiène des mains lors de la manipulation du KTVC (optionnel) et type de désinfectant utilisé (optionnel). Quelques informations supplémentaires concernant le cathéter étaient également enregistrées : lieu de son insertion, site anatomique de pose, indication du maintien en place, type de KTVC et  âge du KTVC.

Chaque institution a reçu 2 formulaires : le premier concernait la récolte des données administratives et le second la liste des points à observer avec quelques informations complémentaires concernant le patient. Ces formulaires ont été encodés pour l’analyse individuelle et globale des données. Tous ces résultats ont été transmis aux hôpitaux participants pour qu’ils puissent réaliser un feedback à leurs équipes soignantes.

Résultats  

7 hôpitaux de la PFRHHH (pour 8 sites) ont réalisé l’audit, soit une participation de 7/18 (38%).

Le tableau 1 reprend les données anonymisées de chacune des institutions et le nombre d’observations de KTVC. 

Tableau 1 : Données administratives des hôpitaux et nombre de KTVC observés lors de l’audit

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Le tableau 2 reprend la répartition des observations, en fonction des unités de soins. 

Le  tableau 3 détaille le lieu d’insertion du KTVC et le tableau 4 le site anatomique de pose du KTVC. Au moment de l’observation, les KTVC étaient présents en moyenne depuis 8,1 jours (médiane de 5 jours).

Tableau 2 : Répartition du nombre de KTVC en fonction des unités de soins

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Tableau 3 : Lieu d’insertion du KTVC

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Tableau 4 : Site anatomique de pose du KTVC

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Le nombre de voies du KTVC se répartissait comme suit : 21% de mono-voies, 40% de deux voies et 34% de trois voies. Quand plusieurs voies étaient présentes, 28% d’entre elles n’étaient pas perfusées.

Une nutrition parentérale coulait sur 29/116 (25%) des KTVC. 73% des KTVC étaient utilisés pour perfuser des médications et/ou antibiotiques et 6% n’avaient que pour but  une hydratation du patient.

Les pansements présents étaient majoritairement transparents (96/116, 83%), parmi ceux-ci 10% comportaient une compresse. 7% des pansements étaient « non-tissés » 

stériles.  Le tableau 5 synthétise les caractéristiques du pansement du KTVC.

Tableau 5 : Aspect du pansement des KTVC observés

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L’aspect des lignes veineuses est repris dans le tableau 6.

Tableau 6 : Aspect des lignes veineuses des KTVC observés 

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Les désinfectants utilisés (donnée optionnelle, 44 réponses) étaient majoritairement le digluconate de chlorhexidine 0,5% (52% des cas), suivi de la chlorhexidine 2% (27%). L’usage  de polyvidone iodée alcoolique (PVPI) était de 16%  pour la concentration de 1,5% et de 5% pour la concentration de 1%.

Le dernier point à observer de façon optionnelle était l’hygiène des mains lors de la manipulation du cathéter, aussi bien pour la réfection du pansement que pour la réalisation d’une injection. Cet item n’était donc pas toujours observable au moment de l’observation. Cette donnée n’a donc été enregistrée que pour 30 KTVC (26%) et l’analyse n’en a dès lors pas été faite.

Discussion 

La majorité des KTVC présents dans nos unités de soins se trouvent à l’USI (42%) et sont fréquemment mis en place dans ces mêmes unités (39,7%). Ces chiffres sont conformes à ceux publiés dans la littérature (1). Ils confirment l’importance d’implémenter des stratégies de type care bundles et/ou approche multidimensionnelle prioritairement dans ces unités de soins.  Une approche de type «care bundle d’insertion du KTVC» pourrait également être implémentée en salle d’opérations, vu le nombre important de KTVC placés au quartier opératoire (51,7%).

Les unités médicales (hors gériatrie) comptabilisent 24% des KTVC de nos institutions. Des audits de pratiques accompagnés de formation à la bonne gestion des KTVC pourraient également être mis en place dans ces unités.

Pour ce qui est du site anatomique de pose du KTVC, le site jugulaire est préféré en dépit du fait que celui-ci est associé à un nombre plus élevé de CLABSI que le site sous-clavier (1, CDC category IB).  Des considérations traumatiques (pneumothorax) entrent probablement en ligne de compte pour expliquer cette préférence. Le message que la voie fémorale doit être au maximum évitée (CDC Category IA) est par contre bien intégré,  ce site anatomique est choisi dans seulement 7% des cas.

Concernant le nombre de voies, élément également associé à un nombre plus élevé de CLABSI, le KTVC trois voies est encore très fréquemment utilisé, avec l’observation que toutes ces voies n’étaient pas perfusées au moment de l’audit. Le message d’utiliser le KTVC qui présente le moins de voies devra également être réitéré (CDC Category IB, 7).

La durée médiane du cathéter au moment de l’observation était de 5 jours. Cette donnée ne représentait pas la durée finale de maintien du KTVC. Il est impossible de conclure quand au fait que la réévaluation quotidienne de la nécessité du KTVC était bien faite, ce point constituant un des facteurs les plus importants dans la prévention des CLABSI (7, CDC Category IA).

Le pansement transparent était majoritairement utilisé, comme préconisé dans les recommandations (CDC Category IA), mais seulement  78% de ceux-ci permettaient de visualiser le site d’insertion du KTVC. La propreté du pansement doit également être améliorée, 82% seulement donnaient satisfaction. La fréquence élevée (36%) de régulateur de débit interpelle, car elle allonge inutilement la longueur des tubulures. Or il est recommandé de minimiser au maximum tout contact avec une porte d’entrée microbienne et la présence de ce régulateur augmente le risque d’un contact avec le sol (15). Pour limiter le risque de contamination, la manipulation des cathéters, tubulures et robinets doit être réalisée aseptiquement après leur désinfection à l’aide d’une solution alcoolique (CDC Category IA). Cette donnée, qui était optionnelle dans l’audit, montrait le bon respect de cette recommandation.

L’observation de la compliance à l’hygiène des mains, reprise dans de nombreux «bundles», était restée optionnelle car pas toujours réalisable lors de la présence de l’auditeur. Cet item est par ailleurs contrôlé lors des campagnes nationales « Hygiène des mains ». Il constitue toutefois un élément clé dans la prévention des CLABSI (CDC Category IB).

Audit
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fiche audit_formulaireP

Conclusions 

L’audit de bonnes pratiques de la gestion des KTVC a permis d’identifier, au sein des hôpitaux de la PFRHHH,  certaines faiblesses dans la gestion des KTVC.

Sans surprise, l’USI est un endroit central dans la prévention des CLABSI. Le quartier opératoire a également été identifié comme un endroit où une surveillance étroite de la mise en place des KTVC pourrait être réalisée.

Concernant les unités de soins, les points faibles sont notamment la propreté du pansement, l’absence de visualisation du site d’insertion du KTVC et l’utilisation fréquente –et probablement peu utile -de régulateur de débit. 

Plusieurs EOH  ont réalisé un feedback des résultats  afin de re-sensibiliser les équipes soignantes à la bonne gestion du cathéter central pour la prévention des CLABSI.

Chaque hôpital adaptera par la suite sa stratégie en fonction des ressources humaines dont il dispose et des priorités qu’il aura identifiées dans la prévention des CLABSI, tout en gardant à l’esprit qu’il est primordial de réévaluer quotidiennement l’indication du maintien du KTVC et d’en diminuer au maximum les manipulations.

Références  

1. Sacks GD, Diggs BS, Hadjizacharia P, Green D, Salim A, Malinoski DJ. Reducing the rate of catheter-associated bloodstream infections in a surgical intensive care unit using the Institute for Healthcare Improvement central line bundle. Am J Surg. 2014 Jun;207(6):817–23. 

2. Blot K, Bergs J, Vogelaers D, Blot S, Vandijck D. Prevention of central line-associated bloodstream infections through quality improvement interventions: a systematic review and meta-analysis. Clin Infect Dis Off Publ Infect Dis Soc Am. 2014 Jul 1;59(1):96–105. 

3. Herzer KR, Niessen L, Constenla DO, Ward WJ, Pronovost PJ. Cost-effectiveness of a quality improvement programme to reduce central line-associated bloodstream infections in intensive care units in the USA. BMJ Open. 2014 Sep 25;4(9):e006065–e006065. 

4. O’Grady NP, Alexander M, Burns LA, Dellinger EP, Garland J, Heard SO, et al. Guidelines for the Prevention of Intravascular Catheter-related Infections. Clin Infect Dis. 2011 May 1;52(9):e162–93. 

5. Rapport préliminaire Surveillance SEP 2014, ISP-WIV, Naima Hammami : en cours.

6. McPeake J, Cantwell S, Malcolm G B, Malcolm D. Central line insertion bundle: experiences and challenges in an adult ICU. Nurs Crit Care. 2012 May;17(3):123–9. 

7. Marschall J, Mermel LA, Fakih M, Hadaway L, Kallen A, O’Grady NP, et al. Strategies to prevent central line-associated bloodstream infections in acute care hospitals: 2014 update. Infect Control Hosp Epidemiol. 2014 Sep;35 Suppl 2:S89–107. 

8. Pronovost P, Needham D, Berenholtz S, Sinopoli D, Chu H, Cosgrove S, et al. An intervention to decrease catheter-related bloodstream infections in the ICU. N Engl J Med. 2006 Dec 28;355(26):2725–32. 

9. Tang H-J, Lin H-L, Lin Y-H, Leung P-O, Chuang Y-C, Lai C-C. The impact of central line insertion bundle on central line-associated bloodstream infection. BMC Infect Dis. 2014;14(1):356. 

10. Guerin K, Wagner J, Rains K, Bessesen M. Reduction in central line-associated bloodstream infections by implementation of a postinsertion care bundle. Am J Infect Control. 2010 Aug;38(6):430–3. 

11. Cherifi S, Gerard M, Arias S, Byl B. A multicenter quasi-experimental study: impact of a central line infection control program using auditing and performance feedback in five Belgian intensive care units. Antimicrob Resist Infect Control. 2013;2(1):33. 

12. Weeks KR, Hsu Y-J, Yang T, Sawyer M, Marsteller JA. Influence of a multifaceted intervention on central line days in intensive care units: Results of a national multisite study. Am J Infect Control. 2014 Oct;42(10):S197–202. 

13. Thom KA, Li S, Custer M, Preas MA, Rew CD, Cafeo C, et al. Successful implementation of a unit-based quality nurse to reduce central line-associated bloodstream infections. Am J Infect Control. 2014 Feb;42(2):139–43. 

14. How-to Guide: Prevent Central Line- Updated March 2012 Associated Bloodstream Infections (CLABSI), Institute for Healthcare Improvement.

SFHH: Surveiller et prévenir les infections associées aux soins, Hygiènes, Vol. XVIII – n°4, sep.2010, p121-127.

 
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