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Et si vous vendiez de la prévention des infections ?

Béatrice Duvillard - Infirmière spécialisée en prévention et contrôle de l’infection (PCI), Hôpital neuchâtelois, Suisse


Contexte   

Infirmière spécialisée en prévention et contrôle de l’infection, j’occupe ma fonction dans l’hôpital du canton de Neuchâtel. L’hôpital neuchâtelois comptabilise 450 lits répartis sur 5 sites géographiques dans le canton de Neuchâtel (7 sites jusqu’en mai 2017). Notre équipe est composée de 3 infirmiers (2.9 EPT) et un médecin infectiologue (0.2 EPT).

Cet article sort un peu des sentiers battus, car vous n’y lirez pas une étude de cas, ni des résultats d’observance ou d’audit, ni un sujet sur les précautions standard ou les mesures additionnelles mais il s’agit de mon expérience quant à l’utilisation des techniques de vente dans la conduite d’un projet d’amélioration des gestes d’hygiène des mains. 

Les buts ? Améliorer l’adhésion des collaborateurs à un concept plutôt rébarbatif et modifier leurs comportements.  

Story telling  

Tout commence en 2007 dans le canton de Neuchâtel. Sept structures hospitalières indépendantes fusionnent sous une même entité: l’Hôpital neuchâtelois se crée. Les deux milles cinq cents collaborateurs se découvrent et doivent travailler toujours sur leur site respectif, mais avec une seule direction. Ils découvrent ainsi une nouvelle unité: l’unité de prévention et contrôle de l’infection, l’UPCI, qui est localisée sur les 2 sites géographiques principaux. Terminé, les classeurs d’hygiène hospitalière et les diverses procédures collectées au fil des années ! On passe à l’ère informatique, tout est sur l’intranet institutionnel. Par chance, les 3 infirmiers de l’unité, nous avons la gestion totale de l’onglet UPCI dans l’intranet. Nous y diffusons donc nos référentiels, les procédures, les fiches de travail en lien avec notre champ d’activités. Constat : la communication virtuelle est intéressante lorsque les kilomètres séparent les institutions, mais ce n’est pas suffisant, il faut aussi être présent. Web 2.0 est encore loin du terrain, n’oublions pas, le domaine de la santé est avant tout social ! 

Nous partons dans les quelques 60 unités des 7 sites hospitaliers, à la rencontre des collaborateurs, expliquer les référentiels, former, se faire connaître, etc.

 Les années passent, le public relation porte ses fruits. Nous sommes connus grâce aux rencontres et visites mais surtout reconnus grâce à notre réactivité aux multiples sollicitations. En période de démantèlement des fonctionnements autonomes et restructuration des sept établissements, nous avons répondu à une demande accrue de sens et d’émotions de la part des collaborateurs. 

Nous utilisons à bon escient nos attributs : 
– unis, 
– répondant rapidement aux demandes, et disposant de documents accessibles, 
– innovant dans une nouvelle manière de communiquer avec les équipes, 
– marquant les esprits par un flux permanent de contacts pour toucher les équipes. 

En bref, offrant un produit sûr et rassurant à nos collaborateurs, l’UPCI est reconnu comme dynamique et moderne. Nous avons créé la notoriété de manière rapide et massive et implanté en même temps des événements rationnels et émotionnels. La marque de l’UPCI se crée. 
Si vous m’avez suivi jusqu’ici : merci ! Je viens d’utiliser une des techniques publicitaires, le storytelling: raconter une histoire, celle de notre unité. 
Mais au fil du temps, nous constatons toujours un peu la même chose : former, répéter, corriger, répondre aux questions avec en fond sonore, l’éternel «on n’a pas le temps de tout lire, faire, etc…». Nous sommes reconnus, mais ne savons plus comment faire pour que les choses soient appliquées. 

En 2012, l’unité est mandatée par la direction générale de l’hôpital et la commission qualité et sécurité des patients, afin de mettre en place un concept d’amélioration aux gestes d’hygiène des mains dans les sept établissements. Un peu réticents au départ d’aborder un sujet tellement répété dans notre quotidien, nous nous disons que c’est tout de même l’occasion. La direction en fait une priorité, sautons sur l’occasion.

En regardant un peu dans le passé, nous les infirmiers en PCI, nous n’avons pas beaucoup changé de vocabulaire au fil du temps. L e produit UPCI existe, mais il doit innover pour durer…c’est comme dans les marques. Changer l’emballage ? Le logo ? Le contenu ? Nos messages sont routiniers et nous sommes restés un peu les dragons chasseurs de microbes. 

Un peu publivore et assez créative, je m’intéresse particulièrement à déchiffrer la façon dont les marques parviennent à attirer les clients. Nous avons tous fait la même expérience : entrer dans un supermarché pour acheter un article bien précis et en ressortir avec un ou deux articles de plus dans le chariot, pour lesquels nous avons été attirés dans le rayon à notre propre insu. Par quel mécanisme, nous sommes nous fait avoir ? 

Puis ces dernières années, des revues spécialisées spécifiques aux hôpitaux publient des articles sur le marketing hospitalier , le marketing social . Utiliser le marketing pour inviter les individus à choisir des comportements bénéfiques pour la société et pour eux-mêmes. C’est pile l’outil recherché pour notre concept : inviter les collaborateurs à réaliser les bons gestes d’hygiène des mains afin de limiter les infections associées aux soins et pour se protéger eux-mêmes, malgré les multiples arguments qu’ils ont déjà entendus, vus et lus.

 Vous savez tous que l’hygiène des mains est un sujet difficile à faire passer auprès des collègues. On entend très souvent :»on sait faire», «vous êtes là pour nous contrôler», «les mains, toujours les mains». 

Alors je justifie longuement auprès du service de formation, mes besoins d’acquérir de nouvelles connaissances dans un domaine autre que celui des soins: le marketing et la communication de vente, puis plus tard une sous-spécialité, le neuro-marketing. Mon objectif de cours est de disposer des outils spécifiques permettant d’impulser un changement de comportement. 

Dans la gestion du projet institutionnel, nous nous répartissons les tâches classiques entre collègues et je prends le leadership de la communication et nous avons recours à une professionnelle du graphisme. 

Je pars donc m’installer sur les mêmes bancs d’école que les futurs professionnels de la vente en horlogerie (soit dit au passage le canton de Neuchâtel est le berceau de l’industrie horlogère helvétique et revendique aussi l’intitulé de «Watch Valley» créé en vue de la promotion touristique de la région). 

Dans le domaine de la vente, les objectifs à suivre sont : 
– Faire vivre la marque.
– Répondre aux besoins du consommateur. 
– Déclencher un comportement d’achat et ceci sur du long terme. 

Dans les paragraphes suivants, je vais décrire les différents outils développés durant le concept en les ramenant à quelques principes du domaine de la vente. 

Que se passe-t-il dans la tête d’un consommateur ? 

Dans les années 50, des méthodes qualitatives et quantitatives étaient employées sur un groupe focus de consommateurs afin de préparer une campagne publicitaire. Vingt ans plus tard, l’électromyogramme du muscle rehausseur du coin des yeux (incontrôlable) servait à identifier l’intérêt ou le désintérêt face à la stimulation visuelle d’un produit. Depuis, l’arrivée de l’IRM  permet de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. 

Nous sommes régis par des processus inconscients à 95%, et 80% des informations sont traitées par la partie émotionnelle du cerveau humain. Ces processus inconscients naissent dans le cerveau reptilien, organe ancestral à l’origine de notre capacité de survie. Ce dernier contrôle le processus de prise de décision sans aucune maîtrise de notre part. 

Début du XXIème siècle, les professionnels de la vente appliquent les neurosciences cognitives au marketing. Le neuromarketing est né, le but étant de mieux comprendre les comportements des consommateurs grâce à l’identification des mécanismes cérébraux et ainsi améliorer les outils de persuasion. 

Les stimuli clairement identifiés utilisés en marketing, visent directement le cerveau reptilien.

• Provoquez des émotions : nous savons aujourd’hui que les émotions provoquent des réactions chimiques dans notre cerveau et que ces réactions influent directement  la façon dont notre cerveau agit, et donc sur la façon dont nous agissons. Les émotions ont beaucoup plus d’influence sur notre comportement que notre réflexion logique. 

• Dessinez des images : Le cerveau reptilien est très visuel. Donnez donc à vos écrits un fort pouvoir visuel pour toucher le cerveau reptilien. 

• Répétez ce qui est important au début et à la fin : notre cerveau retient mieux ce qui se trouve au début et à la fin d’un argumentaire, et a tendance à oublier un peu tout ce qui se trouve entre les deux. Placez donc le point le plus important de votre argumentaire au début et répétez-le à la fin. 

• Soyez précis et concret : Le cerveau reptilien déteste ce qu’il a du mal à comprendre et les images abstraites. Utilisez à la place des termes facilement compréhensibles. 

• Utilisez les contrastes : Le cerveau reptilien est très sensible aux contrastes : avant/après, pauvre/riche, risqué/sûr, facile/difficile, rapide/lent, etc. Pour le cerveau reptilien, soit c’est noir, soit c’est blanc. Gris, il ne sait pas ce que c’est. Utilisez et abusez donc des contrastes pour donner davantage de force à vos images et aux émotions. 

• Ne parlez pas de vous : C’est l’une des règles de base du marketing. Adressez-vous toujours à votre client. Ne parlez pas des qualités de votre produit. Mais parlez des avantages qu’il va amener au client. 

Du neuromarketing à HygièNE des mains  :

Les lettres H, N et E représentent le logo de l’institution.  

Elles ont été glissées dans le nom du projet  

 

 

Institution = employeur = salaire= compte bancaire alimenté tous les mois = survie. A la vision de ce nom, de la couleur jaune et du pictogramme de la précaution standard qui l’accompagne, le cerveau déclenche une émotion.  

Un des piliers du concept d’amélioration des gestes d’hygiène des mains est d’inclure tous les professionnels en contact avec un patient, soit les 2/3 des employés. Un magazine a été conçu et distribué à tous les 2500 collaborateurs, quelle que soit leur profession, et ce durant les deux années d’implémentation. On y trouve des interviews de mécontents et de contents, des thèmes, des jeux et concours, les résultats dans les grandes lignes. 

Pourquoi ? Pour éviter les frustrations. 
Ainsi individuellement, chaque professionnel prend conscience de son impact quelle que soit sa fonction dans l’amélioration de la sécurité dans son institution. Il amène ainsi sa pierre à l’édifice dans le changement de culture institutionnelle et les discussions inter professionnelles sur le sujet démarrent.
Dans le modèle mondialement connu du concept Save live, clean your hands , il est fréquent de constater que si l’on demande à un professionnel de la santé de citer les cinq moments de l’hygiène des mains, il est compliqué pour lui de ramener ces cinq indications à la réalité de sa pratique. 

 

 

 

 

 

Un autre axe du marketing est abordé : sécuriser le consommateur dans quelque chose qui le rassure, un produit qu’il connaît. Le Crazytest est né. Un jeu à gratter qui par l’emploi de la photographie et le langage employés par le professionnel, stimulent le cerveau primitif: je m’y retrouve, c’est simple et court, c’est ludique, je dois choisir entre oui ou non pour retrouver l’indication au geste d’hygiène des mains: je vais survivre…le but du cerveau reptilien. Tous les stimuli sont utilisés dans ce jeu. 

 

 

 

 

 

S’adresser personnellement au consommateur… au collaborateur. C’est le graal qui déclenche le comportement! 

Le kit du parfait HygièNEur des mains, finalise le concept. Après 15 mois de mise en place du concept, tous les collaborateurs ont reçu personnellement une boîte contenant un flacon de solution hydroalcoolique, l’attache permettant de le suspendre à la poche, les mémos pratiques sur une réglette et de quoi de protéger la peau. 

Le tout avec un miroir permettant de s’identifier comme hygièneur des mains. Pas besoin de chercher les outils pour réaliser une désinfection des mains, ils sont distribués (comme une promotion et distribution d’un échantillon dans un supermarché) et on ne parle plus de la PCI et l’hygiène des mains, mais du collaborateur directement, car il se voit dans ce miroir. Il a tout en main pour réaliser les gestes.  

Comment déclencher un comportement d’achat? 

Dans le domaine de la vente, l’ère de la vente forcée est terminée. Malgré la possibilité de faire seul son choix sur internet, après quelques échecs ou mauvaises surprise d’achats, le consommateur revient vers des valeurs sûres : celles d’avoir un vendeur qui écoute ses besoins, lui parle d’un produit et il sait qu’il aura un interlocuteur en cas de recours ou d’insatisfaction. 

Dans le projet, nous avons employé cette méthode F.R.A.P, soit : 
– diagnostiquer une Frustration, une incompréhension, un besoin 
– se différencier dans les Revendications 
– démontrer notre Apport 
– déclencher la Pulsion 

Nous avons répondu à chacune de ces problématiques en créant des outils promotionnels. 

Dans le cadre des audits, des résultats n’étaient pas satisfaisants dans deux indications. Une signalétique facile à mettre en place et ramenant aux principes du code de la route (soit la sécurité donc la survie) a été mise en place. En plus, le collaborateur était libre de le mettre là où il en sentait le besoin. 

 

 

 

 

 

Dans certaines activités, le flacon de solution hydro-alcoolique à la poche ou au support mural, ne répondait pas aux besoins. Un support universel de flacon poche a été conçu et distribué à la demande. Il peut être accroché à des brancards, chariots, etc. 

Conclusion 

Les outils marketing entrent dorénavant dans nos campagnes de communication et de prévention. Depuis 2016, des audits semestriels d’hygiène des mains sont réalisés et dans notre institution, l’observance à l’hygiène des mains surfe avec le 85%. De par l’obtention du prix de l’European excellence award innovation en 2017, les collaborateurs ont été récompensés pour leur amélioration et nous, infirmiers en prévention de l’infection, avons pu identifier des améliorations poursuivies encore cette année dans la pratique de l’hygiène des mains. 

 

 

 

 

 

 

Par ces quelques mots, je voulais vous amener quelques minimes notions de stratégie marketing que j’ai pu partager le 16 octobre 2018 auprès des membres de l’AIBHH ABIHH à Bruxelles.

Ce que je voudrais encore écrire sur la communication, c’est qu’elle doit avoir du sens et doit être inventive. 

Dernièrement, en lisant Lucien Sfez (écrivain français)  je cite: Dans notre société, qui ne sait plus communiquer avec elle-même, dont la cohésion est contestée, dont les valeurs se délitent, que des symboles trop usés ne parviennent plus à unifier, je retrouve totalement notre quotidien professionnel avec ses problématiques de messages à faire passer, comprendre, appliquer.

En tant que professionnels de la santé, il faut mettre du sens à notre communication. Nos collègues de la génération Y ou digitals natives, se veulent engagés, à la fois consommateurs et citoyens. La génération suivante, la Z, porte les valeurs de transparence, d’interconnexion, d’ouverture et d’agilité comme fondamentales. 

Nos messages quotidiens, nos campagnes de prévention doivent intégrer ces valeurs. Dans un monde de plus en plus complexe, où les socles sont liquéfiés, les turbulences sont sans arrêt, et des cristallisations se créent, la communication inventive est indispensable. Il faut ouvrir les esprits sur autre chose que nos schémas, cadres ou logigrammes. Il faut s’entraîner à être créatif pour être capable d’inventer et de construire de manière collective de nouvelles réponses aux crises de demain.

Remerciements à mes 3 collègues du Team PCI Pierre, Pierre et Olivier ; la direction générale de l’hôpital neuchâtelois qui nous soutient depuis 2007 ; notre graphiste Aline qui met en look nos idées, et toutes les personnes croisées sur mon chemin qui font que mon activité professionnelle me donne entière satisfaction.

Neuchâtel, le 12 octobre 2018.

1. Le marketing hospitalier, vous avez dit marketing ? Gestions hospitalières n°547 juin/juillet 2015  

 2. Le marketing social : un regard nouveau sur la prévention des infections nosocomiales, Revue Médicale Suisse 1er avril 2009  

3. Imagerie par résonnance magnétique 

4. MS, Save lives clean your hands  

5.La communication, Lucien Sfez. Edition PUF 2017 

 

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