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Résistance à la colistine chez les bactéries à gram-négatif

Prof. Youri Glupczynski - Laboratoire de microbiologie CHU UCL Namur (Sites Dinant/Godinne) et Centre National de Référence des bactéries à gram-négatifs multi-résistantes, 5530 Yvoir, Belgique Dr. Te-Din Daniel Huang - Laboratoire de microbiologie CHU UCL Namur (Sites Dinant/Godinne) et Centre National de Référence des bactéries à gram-négatifs multi-résistantes, 5530 Yvoir, Belgique

Résumé


La lutte contre les bactéries multirésistante (MDRO) constitue un en enjeu majeur de santé publique. L’émergence récente de souches multi-résistantes, voire pan-résistantes est illustrée notamment par la dissémination planétaire des entérobactéries productrices de carbapénémases CPE) qui ne restent plus sensibles qu’à la colistine. La colistine est très largement utilisée en médecine vétérinaire pour le traitement des infections à gram-négatif chez les animaux d’élevage. Par contre, cet antibiotique a pendant longtemps été fort peu utilisé en médecine humaine à cause de sa toxicité rénale et en raison de l’apparition d’antibiotiques plus actifs et moins toxiques.
Aujourd’hui la colistine est prescrite à nouveau en médecine humaine souvent comme traitement de dernier recours dans un contexte d’infections sévères occasionnées par des bactéries multi-résistantes telles les CPE. La résistance à la colistine a rapidement émergé suite à sa réintroduction en clinique et elle est en augmentation constante, particulièrement dans les pays où la prévalence de ces bactéries est élevée. Le plus souvent cette résistance résulte de mutations chromosomiques dans divers gènes conduisant à des modifications de la structure du lipopolysaccharide (LPS) et qui entraînent une abolition de la fixation de la colistine sur la paroi bactérienne.
Récemment, des gènes de résistance plasmidique à la colistine (mcr-1 à mcr-4) ont été rapportés chez les entérobactéries principalement chez Escherichia coli. Les premières observations en Chine ont rapidement été suivies d’autres rapports similaires faisant état de la dissémination de souches résistantes à la colistine avec le mécanisme MCR sur tous les continents dont l’Europe (Belgique inclue). Cependant, la très grande majorité des isolats mcr-1/mcr-2 ont été rapporté chez les animaux de filière de productions ou dans des produits alimentaires d’origine animale et beaucoup plus rarement chez l’homme. Malgré la rareté de la résistance plasmidique à la colistine en médecine humaine, il est important de rester vigilant et de surveiller l’évolution de la prévalence et de l’incidence de cette résistance dans différents écosystèmes (p.ex.: dans les hôpitaux aigus mais aussi dans les institutions de soins chroniques et dans la communauté) et sur un échantillonnage plus large (pas uniquement sur les isolats les plus résistants aux antibiotiques tels BLSE ou CPE). L’émergence et la dissémination de la résistance plasmidique à la colistine est préoccupante parce que son extension pourrait compromettre l’une des dernières lignes thérapeutique efficace sur des bactéries multi-résistantes ou pan-résistantes. Cette menace s’inscrit par ailleurs dans un contexte global où les perspectives de développement de nouveaux antibiotiques actifs sur ces organismes restent assez limitées. Dès lors, l’optimisation de l’utilisation clinique de colistine (choix/indication, modalités d’administration, monitoring thérapeutique) ont une importance croissante et constituent la priorité actuelle. 

Structure et mode d’action

Les polymyxines, classe d’antibiotique à laquelle appartient  la colistine, possèdent un spectre d’activité activité antibactérien étroit limité aux seules bactéries à gram-négatif (incluant les entérobactéries, Pseudomonas aeruginosa et Acinetobacter spp.). Seules quelques genres/espèces sont naturellement résistants à la colistine (les plus connues étant Serratia spp., Proteus spp., Morganella spp., Providencia spp. et Burkholderia cepacia et depuis plus récemment, Hafnia alvei, Jayol JAC 2017). Elles sont inactives vis-à-vis des gram-positif et de la majorité des bactéries anaérobies.
Les polymyxines sont des antibiotiques naturellement produits par différentes espèces de Paenibacillus polymyxa  qui ont été découverts au Japon en 1947. Cinq composés chimiques sont décrits, mais seuls deux d’entre eux sont utilisés en thérapeutique: la polymyxine B et la polymyxine E (ou colistine). Ces molécules d’un grand poids moléculaire (+/- 1200 Da) sont des polypeptides cationiques constitués d’un cycle de 7 acides aminés et d’une chaîne latérale tripeptidique sur laquelle est liée de façon covalente un acide gras. Cette structure chimique particulière leur confère à la fois des propriétés hydrophiles (groupement amines des acides aminés du cycle chargés positivemement) et lipophiles (acide gras à longue chaîne chargés négativement).
La cible d’action des polymyxines est le lipopolysaccharide (LPS) bactérien, composant de la membrane externe des bacilles à gram-négatif. Grâce à leur structure polycationique, ces molécules se fixent sur le LPS (à la place des ions Ca++ et Mg++) provoquant une désorganisation de la paroi externe et secondairement une augmentation de la perméabilité de la membrane cytoplasmique. Ces modifications majeures aboutissent à la lyse rapide de la membrane et mort de la bactérie. Les polymyxines sont des antibiotiques rapidement bactéricides, leur mode d’action étant concentration dépendant (à l’instar des aminoglycosides) et les paramètres principaux régissant leur activité PK/PD sont la concentration sérique maximale et l’aire sous la courbe par rapport à la concentration minimale inhibitrice (Cmax/CMI et AUC/CMI).

Usage clinique

La colistine peut être utilisée sous deux formes pharmaceutiques; la forme de colistine sulfate est utilisable par voie orale et pour l’usage topique. La forme colistiméthate sodique est à usage parentéral uniquement. A noter que le colistiméthate sodique est une prodrogue inactive de la colistine ne possédant aucune activité antibactérienne intrinsèque. Le sulfate de colistine et le colistiméthate sodique ne sont quasiment pas absorbés au niveau du tractus gastro-intestinal. C’est pourquoi le colistiméthate sodique est utilisé par voie parentérale pour le traitement des infections profondes. La colistine a été utilisée en thérapeutique humaine pour le traitement des infections à bactéries à gram-négatif depuis les années 1960.  Dès les années 1970 son utilisation a rapidement diminué en raison d’une part des effets secondaires rapportés (nephrotoxicité, neurotoxicité) et d’autre part de l’introduction de nouveaux antibiotiques plus actifs et moins toxiques (aminoglycosides, quinolones, β-lactames). Pendant une vingtaine d’années, l’utilisation de la colistine a été essentiellement limitée à des traitements topiques (ophtalmologie, dermatologie) ou pour le traitement d’infections très spécifiques (p.e : usage systémique ou nébulisation dans le cadre d’infections pulmonaires chez les patients avec mucoviscidose). La recrudescence des bactéries à gram-négatifs multi-résistantes et pan-résistantes (en particulier les CPE) a contribué à la réintroduction de l’utilisation de la colistine depuis une dizaine d’année en médecine humaine. L’utilisation en médecine vétérinaire (traitement, prophylaxie) est par contre restée importante et l’utilisation très excessive de colistine comme agent promoteur de croissance dans le domaine agro-alimentaire constitue à la fois un enjeu économique très important et un problème de santé publique majeur à cause du risque d’émergence rapide de résistance dans les différents écosystèmes (animal et humain).

Mécanismes de résistance

La résistance à la colistine est liée à des modifications de la composition du LPS des bactéries à gram-négatif. Ces modifications ont toutes comme conséquence de diminuer la charge négative du LPS, essentiellement via l’ajout de résidus chargés positivement, entraînant ainsi une diminution d’affinité de la colistine (elle-même chargée positivement) pour sa cible d’action. D’autres mécanismes de résistance plus rarement incriminés sont la synthèse d’une capsule externe (qui absorbe la colistine par trapping et empêche ainsi sa fixation sur le LPS) ou la surexpression de certaines pompes à efflux (entraînant l’expulsion de l’antibiotique de la bactérie vers le milieu extra-cellulaire).
Les altérations du LPS sont liées à des modifications du lipide A comprenant le plus souvent l’addition de deux types distincts de groupement cationiques (phosphoétanolamines [pEtN] ou 4-amino-4-désoxy-L-arabinose [L-Ara4N]).
Chez les entérobactéries, ces modifications du LPS sont finement régulées par deux systèmes distincts à deux composants nommés PhoP/PhoQ et PmrA/PmrB. Le système PhoP/PhoQ est lui-même régulé par la protéine transmembranaire MgrB. Dans la majorité des cas, la résistance à la colistine est corrélée avec des altérations de gènes chromosomiques (mutations, délétions ou insertions) impliqués dans l’un ou l’autre de ces systèmes à deux composants et/ou du gène mgrB. Chez les entérobactéries, le mécanisme de résistance le plus fréquemment rencontré correspond à une inactivation du gène mgrB, qui joue un rôle de régulateur négatif sur le système PhoP/PhoQ. Les CMI à la colistine chez les souches possédant une altération du gène mgrB sontgénéralement comprise entre 4 et 64 mg/L. L’émergence d’une résistance plasmidique à la colistine et transférable d’une espèce à une autre a été rapportée pour la première fois fin 2015 sous la dénomination de MCR-1. La protéine MCR-1 fait partie de la famille des phosphoéthanolamine transférase dont l’expression chez E. coli et chez K. pneumoniae aboutit à l’addition de pEtN sur le lipide A. Les modifications du LPS par l’ajout de pEtN confèrent des niveaux de résistance aux polymyxines plus faibles que celui conféré par l’ajout de L-Ara4N. Ceci explique que les souches avec le mécanisme de résistance MCR-1 présentent un bas niveau de résistance, les CMI à la colistine étant habituellement comprises entre 4  et 8 mg/L.
Depuis leur description initiale en Chine à partir de souches d’animaux d’élevages (surtout porcins et volailles), de produits alimentaires  (viandes) et d’origine humaine,  la présence de souches d’entérobactéries mcr-1 positives (surtout E. coli et dans une moindre mesure Salmonella spp. et beaucoup plus rarement chez K. pneumoniae et Enterobacter spp.) a été rapportée sur tous les continents. En outre, au moins quatre autres variants proches du gène mcr-1 (mcr-1.2, mcr-2, mcr-3 et mcr-4) ont été décrits depuis lors. Les gènes mcr-1 et apparentés sont présents sur une grande diversité de plasmides suggérant une large dissémination de cette résistance dans le monde vétérinaire, en particulier chez les animaux d’élevages. Bien que ce mécanisme de résistance soit considéré comme « nouveau », plusieurs études rétrospectives ont fait état de la présence de souches productrices de MCR-1 depuis les années 1980 (isolement à partir de volaille en Chine) et en Europe au début des années 2000 (isolement dans des veaux d’élevages en France dès 2005) suggérant que l’émergence de ce mécanisme de résistance à la colistine n’était pas si récente que cela. On pense que l’amplification très nette de ce mécanisme de résistance observée dans le milieu vétérinaire depuis la période 2008-2010 pourrait avoir été la conséquence de l’utilisation intensive des polymyxines dans le monde animal (en particulier élevage de porcs et de bovins). Chez l’homme par contre, la prévalence des souches mcr-1 positives reste toujours très faible (<0.1% chez E. coli). Cependant il n’existe qu’un très petit nombre d’études, celles-ci étant de surcroît souvent de taille limitée et ciblées sur des groupes de population très spécifiques (dépistage du portage de bactéries MDR à partir de frottis rectaux chez des patients hospitalisés ou chez des résidents dans des institutions de long séjour).

Epidémiologie

La prévalence de la résistance à la colistine reste actuellement basse dans de nombreux pays. En Europe, les données du programme de surveillance EARS-Net de l’ECDC montrait un taux moyen de résistance à la colistine en 2015 de l’ordre de 1% pour E. coli et de 8-9% chez K. pneumoniae, mais cet antibiotique n’était testé de manière systématique que dans un nombre fort limité de pays (6 pays sur 30). Dans ce même rapport, le taux moyen de résistance chez P. aeruginosa et chez Acinetobacter spp était de 1% et 4%, respectivement. Globalement, on observe une situation très contrastée selon les pays, la prévalence de la résistance à la colistine semblant étroitement corrélée à celle de la résistance aux carbapénèmes. Ainsi, la prévalence de la résistance à la colistine reste actuellement basse (< 5 % y compris les espèces naturellement résistantes) dans les pays ou la dissémination des CPE est encore faible (p.ex. : France, Belgique, Allemagne, Suède, Finlande, Danemark, Norvège). Par contre, la situation est beaucoup plus alarmante (20 à 30 % de résistance à la colistine en particulier chez K. pneumoniae)  pour certains pays considérés comme endémiques pour les CPE (ex. : Grèce ou Italie). En 2015, 95% des souches rapportées résistantes à la colistine dans le programme de surveillance EARS-Net provenaient de Grèce et d’Italie. A noter que l’augmentation importante de l’utilisation de la colistine  (par un facteur 6x en Grèce entre 2009 et 2013) pour le traitement des infections à bacilles à gram-négatif multi-résistant a contribué à l’émergence rapide de la résistance. A côté de l’effet de la pression de sélection liée à l’utilisation croissante de colistine en clinique, la dissémination de souches épidémiques peut aussi contribuer à l’augmentation de la résistance. C’est le cas en Italie où plusieurs épidémies hospitalières occasionnées par des souches MDR résistantes à la colistine (essentiellement des CPE de type KPC) ont été bien documentées entre 2012 et 2016.
En Belgique, il n’existe pas de données de prévalence de la résistance à la colistine en médecine humaine, cet antibiotique n’étant testé que par très peu de laboratoires (et généralement en seconde intention essentiellement sur des souches qui présentent un caractère de multirésistance et seulement en milieu hospitalier). Dans le cadre de ses missions de centre de référence, notre laboratoire a évalué la sensibilité in vitro à la colistine à partir d’un échantillonnage de 800 souches d’entérobactéries multi-résistantes et présentant pour la majorité d’entre elles une diminution de sensibilité ou une résistance aux carbapénèmes. Ces souches isolées à partir de prélèvements cliniques ou de frottis de dépistage dans plus de 90 laboratoires (hospitaliers et privés) belges nous étaient adressées en première intention pour confirmation de CPE. Une résistance associée à la colistine a pu être été mise en évidence pour 1% des souches de E. coli et pour 12% des K. pneumoniae testées. A noter qu’une augmentation significative de la résistance était observée au cours du temps (14% en 2015 vs. 8% en 2015), particulièrement chez les souches de K. pneumoniae productrices de carbapénémase de type KPC (29/87 [33%] en 2015 vs. 10/72 [14%] en 2014 ; p <0.001) mais pas pour celles produisant d’autres types de carbapénémases. Cette dernière observation suggère fortement une augmentation de la résistance à la colistine liée à la diffusion épidémique régionale et interrégionale des  souches de K. pneumoniae productrices de carbapénémase KPC-3 retrouvées en Belgique et dont le caractère clonal est bien reconnu (clone épidémique ST512).
Sur un total de 129 souches de bactéries à gram-négatif résistantes à la colistine testées en 2014 et en 2015 par PCR pour la détection du mécanisme de résistance plasmidique à la colistine de type MCR seules 2 souches de E. coli (toutes deux productrices d’une carbapénémase OXA-48) étaient également positives par PCR pour mcr-1. En 2016 et en 2017, le laboratoire de référence a confirmé la présence du gène mcr-1 dans 7 souches de E. coli résistantes à la colistine (provenant de 5 laboratoires) qui présentaient comme particularité le fait d’être fort sensibles à la majorité des antibiotiques (à l’exception de l’ampicilline, du cotrimoxazole et pour certaines d’entre elles les fluroquinolones). Ceci suggère qu’il est sans doute indiqué dans le cadre d’études d’incidence ou de prévalence de ne pas limiter la recherche de la résistance plasmidique à la colistine de type MCR aux seules souches multi-résistantes (de type BLSE ou CPE). Il est également intéressant de signaler que à ce jour la résistance plasmidique à la colistine n’a jamais été décrite chez P. aeruginosa ni chez Acinetobacter spp.
Compte tenu de l’absence d’épidémies nosocomiales associées à la présence de souches d’entérobactéries productrices de MCR-1 , de de la méconnaissance des facteurs de risque de portage, de la survenue tout à fait exceptionnelle d’épidémies hospitalières associées à l’espèce E. coli, de la proportion importante de souches MCR-positives multi-sensibles aux antibiotiques d’origine communautaire (non associées à des infections hospitalières), il ne nous paraît pas indiqué de réaliser actuellement un dépistage spécifique pour la recherche du mécanisme de résistance à la colistine de type MCR chez des patients hospitalisés (hormis dans le contexte d’étude d’évaluation des facteurs de risque). Dans ces cas, il pourrait être judicieux de considérer les vétérinaires, les éleveurs et l’ensemble des professionnels travaillant au contact des animaux d’élevage comme un groupe potentiellement à risque en plus des autres facteurs de risque déjà préalablement définis pour la recherche du portage asymptomatique de BLSE ou de CPE (hospitalisation préalable à l’étranger ou rapatriement sanitaire direct de l’étranger, en particulier les personnes ayant voyagé  dans le Sud-Est de l’Asie, reconnue comme zone à prévalence accrue d’entérobactéries résistantes à de nombreux antibiotiques dont la colistine.

Méthodes recommandées pour la détection de la résistance à la colistine

Il est important de souligner l’importance du choix de la méthodologie utilisée au laboratoire pour tester la sensibilité in vitro de la colistine. Il est notoirement reconnu que des variations nationales/régionales des taux de résistance observés peuvent être expliquées en partie par des différences méthodologiques utilisées dans les différentes études. Il est actuellement recommandé de ne plus évaluer la sensibilité à la colistine par des méthodes de diffusion en milieu solide (disques ou bandelettes par gradient de diffusion de type E-test ou analogues). En effet, de par leur haut poids moléculaire les polymyxines diffusent mal dans les milieux gélosés, ne permettant donc pas une bonne estimation de la sensibilité de la colistine. La méthode de référence préconisée par les sociétés savantes (tant EUCAST que CLSI) pour évaluer la sensibilité des bactéries aux polymyxines est la méthode de dilution en milieu liquide (macro- ou microdilution) (http://www.eucast.org/fileadmin/src/media/PDFs/EUCAST_files/General_documents/Recommendations_for_MIC_determination_of_colistin_March_2016.pdf).
En 2017, les valeurs de breakpoints cliniques ont été harmonisées pour les différents groupes de bactéries (Entérobactéries, Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter spp.) et sont maintenant identiques pour les deux principaux référentiels (EUCAST et CLSI) (Cf. Table 1). A noter cependant, que le CLSI  ne définit toujours pas de valeurs de breakpoints cliniques à la colistine pour les entérobactéries mais propose seulement des valeurs seuils (cut-off) épidémiologiques (ECV) spécifiques et ce pour certaines espèces uniquement (cf. Table 1). Les valeurs seuils (S et R) exprimés en diamètres sont par ailleurs supprimées tant pour le CLSI que pour EUCAST.
Enfin, l’EUCAST recommande d’utiliser comme contrôle de qualité pour tester la colistine l’inclusion de deux souches sensibles (E. coli ATCC 25922 et P. aeruginosa ATCC 27853) ainsi que celle d’une souche de résistante à la colistine (E. coli NCTC13846) et productrice de MCR-1.

Table 1. Concentrations critiques pour la colistine selon les recommandations de l’EUCAST et du CLSI

†Pas de breakpoint cliniques pour le CLSI mais seulement valeurs de cut off épidémiologiques (ECoff); s’appliquent de manière spécifique à certaines espèces uniquement (E. aerogenes, E. cloacae, E. coli, K. pneumoniae)

La méthode de référence de microdilution en bouillon (Standard ISO 20776-1) n’étant pas utilisable en routine dans les laboratoires cliniques, différentes méthodes alternatives ont été évaluées pour tester la sensibilité à la colistine.
Les méthodes de diffusion en gélose (disques, gradient de diffusion en bandelette) donnent fréquemment des résultats erronés avec non détection de souches résistantes (fausses sensibilités et erreurs très majeures) jusque dans 20 à 30% des cas par rapport à la détermination des CMI par méthode de microdilution. Des systèmes de microdilution « prêts à l’emploi » utilisant soit des gammes de concentrations prédéfinies de plusieurs antibiotiques lyophilisés dont la colistine (plaques de 96 multi-puits [Sensititre, Thermofisher Scientific, UK]), soit des barrettes contenant des concentrations de colistine seule (MICRONAUT MIC-Strip [Merlin Diagnostika ,Germany] ou le système UMIC [Biocentric, France]) sont actuellement disponibles dans le commerce.
Dans une étude récente (Hindler JA, Humphries RM.,  J Clin Microbiol 2013), le système Sensititre® donnait d’excellent résultats pour la colistine, les résultats étant corrélés à la méthode de référence par microdilution dans 95% des cas (concordance catégorielle de résultats S/I/R) sans aucun résultat faussement sensible pour des souches résistantes (absence d’erreurs très majeures).
Les systèmes commerciaux sous forme de barrette unique (tels que MICRONAUT MIC-Strip, ou UMIC) comprennent chacun une large gamme de concentrations de colistine seule (de 0.06 à 64 µg/ml) et s’avèrent dès lors très pratiques pour confirmer les résultats obtenus pour la colistine à partir de la méthode utilisée en routine. Comme pour la méthode Sensititre® les résultats de CMI sont obtenus après incubation pendant 18-24 h à 35°C et sont aussi bien corrélés avec ceux de la méthode de référence par microdilution. Une évaluation récente réalisée dans notre laboratoire sur un total de plus de 100 souches d’Entérobactéries (dont plus de la moitié étaient résistantes à la colistine) a montré pour ces deux tests une excellente corrélation par rapport aux résultats obtenus avec le Sensititre® (utilisé comme méthode de référence), une concordance catégorielle étant observée dans 95-100% des cas et quasi absence de résultats faux sensibles pour les souches d’entérobacteries. A noter que des résultats invalides, non interprétables (présence de «skip wells», c.à.d: croissances paradoxale de la souche dans des puits isolés de concentrations plus élevées avec inhibition de croissance à concentration plus faible) sont rarement observés par ces différentes méthodes commerciales (dans 1-3% des cas) et nécessitent dans ces cas de répéter le test.
Les systèmes automatisés (VITEK2, Phoenix, Microscan) n’ont pas fait l’objet d’une validation FDA pour tester la colistine et il n’existe que très peu de données dans la littérature concernant leur performance pour cet antibiotique. Une étude déjà ancienne rapporte une faible sensibilité pour la détection de résistance à la colistine avec le système VITEK2 (Tan TY et al., Clin Microbiol Infect 2007).  Une étude plus récente rapporte également un taux de résultat faussement sensible de l’ordre de 15% pour la détection de la résistance à la colistine par le système Phoenix (Poirel et al., Clin Microbiol Rev. 2017). A noter que les souches présentant une résistance plasmidique à la colistine de type MCR-1 semblaient cependant bien détectées dans cette étude.
En l’état et dans l’attente de résultats d’autres études, il paraît souhaitable en cas d’utilisation de système automatisé de confirmer le résultat de la sensibilité à la colistine par une autre méthode (en microdilution à l’aide d’un test commercial) surtout dans les situations où une indication thérapeutique de la colistine est posée.
Un nouveau test « Rapid Polymyxin NP™ » introduit sur le marché par la société ELITech Group permet également de détecter en 2-4 heures les souches résistantes à la colistine, quels que soient l’espèce d’entérobactérie testée ou le mécanisme moléculaire à l’origine de la résistance. Le principe de ce test est basé sur la détection de la métabolisation du glucose liée à la croissance bactérienne en présence d’une concentration définie (2 µg/ml) de colistine. Ce test n’est donc applicable que pour les entérobactéries (mais pas pour les non-fermentants). La croissance bactérienne est mise en évidence par un changement de couleur (jaune/orange) d’un indicateur de pH. Les études préliminaires montrent une bonne corrélation des résultats avec la méthode de référence (sensibilité >95% ; spécificité : 99%). Ce test facile à mettre en œuvre dans un laboratoire clinique devrait dès lors également permettre  de confirmer rapidement (2-4h au lieu de 18-24 h par rapport aux autres méthodes microbiologiques) la sensibilité ou la résistance à la colistine chez les entérobactéries à partir d’un antibiogramme standard.
Les méthodes moléculaires ne sont pas recommandés pour détecter la résistance à la colistine compte tenu de la multiplicité des mécanismes de résistance, du niveau d’expression très variable des gènes chromosomiques codant pour des protéines impliquées dans la synthèse du LPS, de la difficulté qu’il y a à corréler le polymorphisme génétique très fréquemment observé dans les gènes (mutations ponctuelles) avec la résistance. Cependant il est possible de détecter qualitativement par des tests d’amplifications moléculaires des gènes codant pour la résistance plasmidique de type MCR (mcr-1/mcr-2). Plusieurs tests commerciaux sont actuellement disponibles et autorisent une détection rapide de la résistance MCR directement à partir d’échantillons cliniques ou pour confirmation sur culture bactérienne. Notre laboratoire peut confirmer la résistance à la colistine et le niveau des CMI par méthode de microdilution et peut aussi détecter la la résistance plasmidique MCR à l’aide d’un test moléculaire basé sur la technologie LAMP (p.ex : eazyplex® SuperBug mcr-1, Amplex, Germany). Ces tests sont réalisés quotidiennement  dans le cadre de l’activité de routine de notre Centre National de Référence (CNR).

Performance des laboratoires de microbiologie en Belgique pour détecter la résistance à la colistine

Dans le cadre d’un contrôle externe de la qualité en 2017 (EEQ2017/2), l’Institut de Santé Publique a envoyé à tous les laboratoires belges un isolat de Klebsiella pneumoniae (M/1450) résistante à la colistine. Outre la résistance à la colistine (CMI=16 µg/ml), cette souche produisait une carbapénémase de type KPC-3 (Klebsiella pneumoniae Carbapenemase, classe A de Ambler) et présentait un caractère de multirésistance. Dans le cas présent, la résistance à la colistine n’était pas de type MCR (souche négative pour mcr-1/mcr-2) mais elle était liée à la présence d’une mutation non-sens dans le gène chromosomique mgrB (régulateur négatif du système à deux composants PhoPQ) entraînant la synthèse d’une protéine tronquée (Y41 codon stop).
Bien que >95% des 105 laboratoires ayant répondu avaient correctement détecté la résistance à la colistine dans cette souche, on relevait que environ 30% d’entre eux (notamment une proportion importante de laboratoires privés) ne testaient pas la sensibilité à la colistine. La grosse majorité des laboratoires utilisaient comme seule technique leur méthode de routine pour déterminer la sensibilité à la colistine sans confirmation par un autre test. En outre, un tiers des laboratoires ayant répondu avaient utilisé comme technique d’antibiogramme une méthode de diffusion en gélose (majoritairement E-test ou disques) qui n’est actuellement plus recommandée pour tester la colistine. Enfin, seuls 8 laboratoires rapportaient avoir utilisé une méthode de microdilution préconisée pour la colistine tant par l’EUCAST que par le CLSI. Ceci illustre bien la nécessité de continuer à informer et à former les laboratoires afin d’optimiser la surveillance et la détection de nouvelles résistances bactériennes.

Quelques articles de référence dont la lecture est recommandée pour en savoir plus

Olaitan AO, Morand S, Rolain JM. Mechanisms of polymyxin resistance: acquired and intrinsic resistance in bacteria. Front Microbiol. 2014 Nov 26;5:643. doi: 10.3389/fmicb.2014.00643. eCollection 2014. Review.

Bialvaei AZ, Samadi KH. Colistin, mechanisms and prevalence of resistance. Curr Med Res Opin. 2015; 31: 707-21.

Liu YY, Wang Y, Walsh TR et al. Emergence of plasmid-mediated colistin resistance mechanism MCR-1 in animals and human beings in China: a microbiological and molecular biological study. Lancet Infect Dis. 2016; 16: 161-8.

Poirel L, Jayol A, Nordmann P. Polymyxins: Antibacterial Activity, Susceptibility Testing, and Resistance Mechanisms Encoded by Plasmids or Chromosomes.

Clin Microbiol Rev. 2017; 30: 557-96.

Dortet L, Bonnin R, Jousset A et al. Emergence de la résistance à la colistine chez les entérobactéries : une brêche dans le dernier rempart contre la pan-résistance. Journal des Anti-infectieux 2016; 18: 139-59.

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