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Cet article est un résumé de l’article original
« Prevention of ventilator-associated pneumonia in intensive care units : an international online survey” Lambert & al, paru dans Antimicrobial Resistance and Infection Control”  2013,2:9

ML Lambert A. Ingenbleek

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Introduction

Les pneumonies associées à la ventilation mécanique (PAV) concernent environ 7% des patients admis pour plus de 2 jours dans une unité de soins intensif [1] et constituent donc un problème majeur. Les pratiques cliniques de prévention peuvent être classées en 3 catégories. Comme pour les autres infections liées à un dispositif invasif, il convient tout d’abord de limiter l’exposition : dans ce cas en préférant la ventilation non mécanique quand cela est possible, en en limitant la durée au strict nécessaire quand la ventilation mécanique apparait indispensable. Les autres pratiques de prévention visent à réduire la colonisation des voies respiratoires (par exemple, par la pratique régulière de soins de bouche à la chlorhexidine), ou encore à prévenir l’inhalation de sécretions par exemple, en maintenant une pression adéquate du ballonnet). Ces interventions doivent être combinées, dans ce qui est souvent appelé un « faisceau de soins » (« care bundle »). En pratique, le contenu précis des  faisceaux de soins pour la prévention des PAV  varie selon les guidelines, parce que certaines pratiques de prévention sont controversées, que le nombre d’éléments repris dans un « bundle » est forcément limité, et parce qu’une approche pragmatique requiert des compromis. Il n’existe pas de « faisceau de soin » universellement accepté. Une étude visant à définir des recommandations européennes s’est attachée à classer les pratiques cliniques de prévention des PAV en combinant différents critères tels que la force des preuves quant à l’efficacité de la pratique, son impact estimé, et sa facilité de mise en œuvre.[2] Les « gagnants » du classement étaient (dans l’ordre) :

1) pas de changement du circuit de ventilation, sauf si spécifiquement indiqué,
2) hygiène des mains stricte, avec solution hydroalcoolique,
3) interruption quotidienne de la sédation, et protocole de sevrage (pour limiter au strict nécessaire la durée de ventilation invasive,
4) soins de bouche à la chlorhexidine et
5) contrôle quotidien de la pression du ballonnet.

Il ne suffit pas de formuler des recommandations de bonne pratique, encore faut-il que ces recommandations soient suivies et démontrent qu’elles ont l’effet escompté. Toute dynamique d’amélioration de la qualité des soins passe par la mesure des processus (observance à ces recommandations), et des résultats. D’une part, cela est indispensable dans une perspective de suivi et d’évaluation, mais d’autre part la mise en place d’un système de mesure est en elle-même une stratégie d’implémentation des bonnes pratiques cliniques. Le slogan « choc » d’une association américaine pionnière dans le domaine de la qualité des soins (Institute for Health Improvement) est : «ce qu’on ne peut pas mesurer, on ne peut pas l’améliorer».

Les objectifs de notre étude étaient de documenter, au moyen d’une enquête, 1) les pratiques rapportées de prévention des PAV dans les unités de soins intensifs (pratiques cliniques – et systèmes de mesure des processus et des résultats) ; et d’autre part l’attitude par rapport à la mise en place d’un système de mesure, comme stratégie d’implémentation de recommandations de bonne pratique.

Méthodes

 Notre population cible était constituée de médecins travaillant dans des unités de soins intensifs. Le questionnaire comprenait 3 parties : caractéristiques du répondant et de son unité, pratiques de prévention des PAV en usage dans son unité (y compris mesures d’observance et de résultats), et attitudes concernant les systèmes de mesure. En l’absence de référence universellement acceptée, et dans le souci de faire un questionnaire court, afin de stimuler la participation, nous avons choisi de limiter les pratiques cliniques au «top 5» des pratiques listées dans l’étude mentionnée plus haut.[2] Nous avons évité à dessein d’utiliser le terme «surveillance», car ce terme est parfois associé chez les cliniciens à des connotations négatives (contrôle, jugement). Le questionnaire a été mis en ligne dans 6 langues (français, anglais, allemand, italien, espagnol, portugais)   et distribué au travers de sociétés scientifiques de soins intensifs, tant nationales qu’internationales pendant 5 mois en 2012. La participation était anonyme.

Résultats

Nous avons reçu 1730 réponses en provenance de 77 pays différents. Pour obtenir des estimations européennes nous avons pondéré (selon la taille de la population du pays) les 1281 réponses provenant de 16 pays européens pour lesquels au moins 10 réponses étaient disponibles. Ces répondants européens (en principe, tous médecins) avaient en moyenne une expérience de 13 ans dans une unité de soins intensifs, 28% étaient des femmes. Les résultats principaux – Europe et Belgique – sont présentés dans le tableau 1.
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Discussion

La participation importante à cette enquête est un point positif et souligne l’intérêt de la communauté des intensivistes pour le problème des PAV. Ces résultats mettent cependant en évidence les points faibles dans les pratiques de prévention dans les unités de soins intensifs en Europe. Les pratiques visant à limiter l’exposition au dispositif invasif sont les moins utilisées, et si certaines pratiques apparaissent relativement connues (soins de bouche à la chlorhexidine), l’observance n’est guère mesurée. Les médecins et infirmières hygiénistes belges ont suffisamment d’expérience dans la mesure de l’observance à l’hygiène des mains que pour savoir qu’il existe une différence importante entre ce que l’on fait, et ce que l’on croit faire !

A peine la moitié des répondants affirme compter et enregistrer les PAV dans son unité, moins d’un quart est en mesure de fournir une estimation du taux de PAV. Cela contraste de manière surprenante avec la majorité qui estime pourtant que « ce qu’on ne peut pas mesurer, on ne peut pas l’améliorer », et affirme être prêt à mettre en place, ou à soutenir, un système de mesure dans une perspective de prévention, tout en exprimant de la méfiance vis-à-vis des données récoltées.

Ces résultats doivent être appréhendés de manière critique. Tout d’abord, nous ne pouvons prétendre qu’il s’agit d’un échantillon représentatif de notre population d’étude. On peut cependant supposer que les personnes ayant répondu volontairement à cette enquête, après avoir été sollicitées par le biais de sociétés scientifiques nationales ou internationales, sont peut-être plus motivées, et mieux informées que celles n’ayant pas participé. D’autre part les pratiques rapportées en disent plus sur la connaissance du médecin, que sur ce qui se passe réellement dans son unité. Les biais de cette enquête laissent donc à penser que les résultats présentés ici embellissent quelque peu la réalité.

La liste de pratiques cliniques que nous avons choisie comme base de notre enquête, pourrait aussi être critiquée. Certains lui reprocheront l’absence de pratiques basées sur des preuves solides, telles que par exemple le drainage des secrétions subglottiques.

Dans la mesure où ces résultats surestiment ce qui se passe effectivement sur le terrain, cette enquête, malgré les critiques qui peuvent lui être adressées, permet néanmoins d’identifier des priorités pour la prévention des PAV.

Améliorer la connaissance des recommandations de bonne pratique clinique est un pré-requis, mais cela est loin d’être suffisant pour améliorer les pratiques. La majorité des médecins s’accorde sur la nécessité de mesurer de qu’ils font : ils pourraient être aidés dans ce sens par la mise à disposition d’outils de récolte de données en ce qui concerne les processus (à l’instar des méthodes standardisées de mesure de l’hygiène des mains) et les résultats (définitions de cas standardisées pour l’enregistrement des PAV), dans un but de suivi des tendances au niveau local. Peu de cliniciens connaissent la différence entre un diagnostic de PAV, et une définition de cas à visée d’enregistrement. Un diagnostic obéit à une logique clinique, il mène à une décision de traitement, il doit être aussi « juste » que possible et ne peut pas être entièrement standardisé. Par contre, une définition de cas à visée d’enregistrement doit être avant toute chose reproductible, afin de permettre les comparaisons dans le temps : la standardisation est sa caractéristique essentielle, au détriment éventuel, dans un certain nombre de cas, de sa «justesse».

Enfin, il est nécessaire de trouver un compromis pragmatique entre le temps passé à récolter des données, et l’utilité de celles-ci dans une perspective de prévention.

Conclusions

Cette enquête a permis de documenter le potentiel important pour l’amélioration des pratiques de prévention des PAV dans les unités de soins intensifs, en Belgique, en Europe, et ailleurs. Certains résultats – tels que la perception générale que « ce qu’on ne peut pas mesurer, on ne peut pas l’améliorer » ont des implications plus larges que la seule prévention des PAV. Promouvoir les recommandations de bonne pratique doit aller de pair avec la promotion des mesures d’observances à ces recommandations, ainsi que des mesures de résultat, comme un outil d’amélioration de la qualité des soins, tout en maintenant les systèmes de récolte de données aussi simples que possible. L’important n’est pas d’être parfait, mais d’être utile.

Notes

Cette étude a été financée par l’Union Européenne (Project IMPLEMENT , DG SANCO, Grant Agreement N° 2009-11-07). L’article, les résultats détaillés par pays (sous forme de fichier Excel), ainsi que la base de données complète, sont disponibles en ligne librement.

Article : http://www.aricjournal.com/content/2/1/9/abstract

Résultats par pays : http://www.aricjournal.com/imedia/8378642499462451/supp1.xls .

Base de données complète exploitable à des fins scientifiques (sur un site de dépôt de données international). http://datadryad.org/  

Bibliographie

1. European Centre for Disease Prevention and Control: Surveillance of health-care associated infections in Europe 2007 . Stockholm, Sweden; 2012.
2. Rello J, Lode H, Cornaglia G, Masterton R: A European care bundle for prevention of ventilator-associated pneumonia. Intensive Care Med 2010, 36:773-780.

 

 

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