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Maladies infectieuses et risques pour le personnel soignant : focus sur la grippe et la rougeole.

Carole Schirvel - Cellule de surveillance des maladies infectieuses, Agence pour une vie de qualité (Aviq) Tine Grammens - Institut scientifique de santé publique (ISP-WIV), service épidémiologie dans la population générale Nathalie Shodu - Cellule de surveillance des maladies infectieuses, Agence pour une vie de qualité (Aviq) Sylvie Leenen - Cellule de surveillance des maladies infectieuses, Agence pour une vie de qualité (Aviq)

Introduction

Il existe un risque réel, quelque fois négligé, de transmission de maladies infectieuses chez le personnel de santé, que ce soit de type bactérien ou viral. Si certaines pathologies sont mieux connues par le personnel soignant tels que les hépatites virales, le VIH, les infections invasives à méningocoques ou encore la tuberculose, d’autres sont néanmoins sous-estimées tant pour leur pouvoir de contagiosité que pour leurs conséquences potentielles pour le membre du personnel lui-même et pour son entourage professionnel (patients et collègues)  ou encore son milieu familial: citons notamment la coqueluche ou encore la rougeole qui sont des exemples qui sont d ’actualité. 

Cependant, la prévention, entre autres primaire, de ces infections fait partie intégrante de la lutte contre les infections nosocomiales et nécessite une collaboration étroite entre les services de médecine du travail et les équipes d’hygiène hospitalière. 

Les moyens de prévention primaire telles que la vaccination des membres du personnel de santé existent pour certaines pathologies mais ne sont pas toujours acceptées. L’exemple de la vaccination contre le virus influenza est d’ailleurs pertinent : une étude menée en Flandre entre novembre 2015 et janvier 2016 dans 13 hôpitaux et 14 maisons de repos et  de soins (MRS) flamands mettait en évidence que 62,4 % du personnel de santé participant à l’enquête déclaraient être vaccinés en  milieu hospitalier et 52,6 % en MRS. [1] 

Les résultats sont en général meilleurs en Flandre par rapport aux deux autres régions du pays comme le met en évidence l’enquête de santé par interview réalisée en 2013 par l’ISP  et commanditée par les autorités sanitaires : pour la population générale, le pourcentage de la population considérée à risque (dont les professionnels de la santé)  qui a déjà été vaccinée au moins une fois contre la grippe était de 61,9 % en Flandre, de 51,5 % à Bruxelles et de 47,1 % en Wallonie. [2]

Cette vaccination préventive a deux buts : l’un visant à les prémunir contre un risque professionnel et à leur assurer une protection individuelle, et l’autre, plus altruiste, à éviter qu’ils ne contaminent leur entourage, en particulier les patients dont ils ont la charge, en leur évitant une infection nosocomiale.

Les facteurs de sous-vaccination au sein du personnel de santé sont multiples et diffèrent selon les pathologies concernées : mentionnons notamment la méfiance envers le vaccin, l’attitude du professionnel qui estime le vaccin inefficace, la peur des effets secondaires, l’inaccessibilité de la vaccination due aux horaires, à l’organisation du service. [1,3]

L’exemple parlant de la rougeole 

Maladie virale hautement contagieuse due à un paramyxoviridæ, la rougeole reste une cause importante de décès au niveau mondial, malgré l’existence d’une vaccination efficiente [4].  Si dans la grande majorité des cas, les conséquences de cette pathologie restent limitées, des complications peuvent également survenir (otite, pneumonie, symptômes gastro-intestinaux, encéphalite, panencéphalite sclérosante subaiguë ou encore le décès) [5]. Les personnes à risque sont particulièrement les femmes enceintes, les enfants de moins de 5 ans et les personnes présentant des troubles de type immunitaire ou sous traitement immunosuppresseur. Citons également les jeunes adultes non immunisés. Le risque de souffrir de la rougeole parmi le personnel de soins non immunisé est 13 fois plus élevé que dans la population générale [6]. Le délai du diagnostic par méconnaissance de cette pathologie peu fréquente dans nos environnements augmente le risque de même que le type de transmission, aérogène, qui facilite la contamination du personnel soignant qui prend en charge le malade sans protection sous forme de masque FFP2 [7]. Secondairement, le personnel constitue lui-même un risque pour une transmission nosocomiale vers des patients fragilisés ou non-immunisés et vers ses collègues de travail. [8,9]

Le vaccin contre la rougeole disponible en Belgique est un vaccin vivant atténué combiné avec les valences oreillons et rubéole. En Belgique, la vaccination contre la rougeole a été implantée gratuitement à partir de 1985 pour la première dose et à partir de 1995 pour la seconde [10]. En région wallonne, plus spécifiquement, le taux de couverture vaccinale mesuré entre l’âge de 18 et 24 mois était de 95,6 % en 2015. En 2016, le taux de couverture pour la deuxième dose à l’âge de 11, 12 ans était estimée à 75,0 % [11]. La rougeole reste endémique en Belgique et les cibles d’éradication ne sont pas encore atteintes, ce qui explique la survenue régulière d’épidémies dans le contexte belge et en particulier en Wallonie. En effet, pour éliminer cette pathologie, il est nécessaire d’atteindre un taux de couverture vaccinale pour les deux doses de 95 % et de le maintenir [12]. La rougeole est une maladie infectieuse à déclaration obligatoire dès suspicion sur l’ensemble du territoire belge. Toutes les régions de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) ont désormais établi des objectifs pour éliminer cette maladie mortelle évitable d’ici 2020 [4], raison pour laquelle, en dehors d’une flambée épidémique, tout cas suspect doit être confirmé ou infirmé par un examen de laboratoire (PCR ou recherche d’anticorps).

Une épidémie de rougeole a touché le territoire de la région wallonne à partir de fin 2016 et s’est prolongée jusque mai 2017 : 298 cas ont été ainsi déclarés entre le 20 décembre 2016 et la mi-novembre 2017 (figure 1). Le point de départ fut un patient ayant séjourné en Roumanie où sévissait également durant la même période une épidémie. 

Parmi les cas notifiés à la cellule de surveillance des maladies infectieuses de l’AViQ, 63 % ont été confirmés par laboratoire, en majorité par le centre national de référence pour la rougeole, la rubéole et les oreillons (Institut scientifique de santé publique). Le génotypage a mis en évidence une souche virale de type B3 identique à celle circulante en Roumanie, Italie et Autriche à la même époque [13].

Parmi les cas déclarés, 50% n’avaient pas connaissance de leur statut vaccinal ou n’avaient pas de preuve de vaccination et 37 % n’étaient pas vaccinés. 52 % des cas étaient âgés de 15 ans et plus.

130 personnes ont été hospitalisées, avec une durée moyenne d’hospitalisation de 5,4 jours. 

La population affectée par l’épidémie était principalement une communauté non vaccinée provenant d’Europe centrale et de l’Est, résidant en Belgique mais caractérisée par une coutume de voyages fréquents à l’étranger et en Belgique, ne maitrisant pas bien la langue française et n’ayant pas facilement accès aux services médicaux [14]. Ces différentes barrières ont constitué des difficultés quant à la mise en place de mesures préventives. L’absence de médecins généralistes référents a également conduit de nombreux malades à se présenter directement dans une structure hospitalière. 

Figure 1 : évolution épidémique de la rougeole de décembre 2016 à novembre 2017, Région wallonne.

36 membres du personnel soignant de différents hôpitaux ont développé une rougeole après un contact avec un malade venu aux urgences ou hospitalisé (tableau 1). Parmi ceux-ci, l’âge moyen était de 32 ans (médiane 30 ans, min 22 ans, max 57 ans). 5 étaient correctement vaccinés et 17 des cas avaient reçu seulement une dose, carnet vaccinal à l’appui.

Différentes catégories professionnelles ont été touchées : médecins, infirmiers, étudiants infirmiers, brancardiers, techniciens radio, étudiants en médecine et médecins en formation. 

Parmi les causes de contamination, citons l’absence de mesures de protection (port du masque FFP2) devant un patient présentant une éruption accompagnée de fièvre, une vaccination incomplète ou inexistante, un diagnostic différentiel n’incluant pas la rougeole (patients contagieux consultant précocement pour une fièvre avant l’apparition de l’éruption ne permettant pas de suspecter cette infection ou méconnaissance de cette pathologie devenue rare chez le personnel soignant) [14]. 

Tableau 1 : nombre de cas de rougeole parmi le personnel de soins en fonction des provinces et du nombre de cas total

Selon les hôpitaux, différentes mesures ont été mises en place quant à la protection du personnel soignant : vaccination post-exposition dans les 72 heures du contact avec un malade, vaccination préventive offerte systématiquement aux membres du personnel des services considérés comme à risque (notamment les urgences, la pédiatrie, la médecine interne, gynécologie), contrôle d’immunité par la recherche d’anticorps protecteurs, mise en place de protocole d’accueil des patients aux urgences dès la salle d’attente (port d’un masque lorsqu’un patient présentait une éruption accompagnée de fièvre…)  

Conclusion 

Lorsque des vaccins efficaces sont disponibles, une attention particulière doit être donnée à la vaccination du personnel soignant particulièrement exposé, pour sa propre santé et pour le  risque d’être à l’origine de transmission nosocomiale vers des patients fragilisés. Le rôle de la médecine du travail est essentiel pour rassurer le personnel de santé et pour lui apporter des réponses en cas d’hésitation. 

La question d’une vaccination obligatoire contre certaines maladies doit également se poser dans un cadre professionnel, allant alors au-delà de simples recommandations. 

D’autres mesures de prévention doivent être également prises de manière plus systématique comme l’implémentation de protocoles pour le patient ou la patiente dès son arrivée en salle d’attente et en fonction des signes cliniques présentés (port de masque, hygiène des mains, isolement immédiat…). 

De manière plus générale, la Wallonie se doit de développer une stratégie vaccinale dans la population adulte qui englobe différents aspects tels que les modifications des profils épidémiques des maladies infectieuses, l’émergence des craintes et d’idées reçues négatives sur les vaccins au sein de la population, une vision de la vaccination tout au long de la vie et un focus sur les personnes à risque ou plus exposées que représentent les professionnels de la santé. 

Références :

[1] Vandermeulen C, Bral C, Hoppenbrouwers K et al. (2016). Studie in verband met de motivatie van gezondheispersoneel over griepvaccinatie. KU Leuven et Agentschap Zorg en Gezondheid. Disponible sur : https://www.zorg-en-gezondheid.be/ 
[2] Enquête de santé 2013, Rapport prévention. Institut scientifique de santé publique. Disponible sur https://his.wiv-isp.be/fr/Documents%20partages/VA_FR_2013.pdf.
[3] Douville LE, Myers A, Jackson MA et al. Health care worker knowledge, attitudes, and beliefs regarding mandatory influenza vaccination. Arch Pediatr Adolesc Med. 2010 Jan; 164(1):33-7
[4] World Health Organization (WHO). Measles fact sheet N°286. Geneva: WHO; oct 2017. Disponible sur: http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs286/en/index.html
[5] Strebel PM, Papania MJ, Dayan GH, Halsey NA. Measles vaccines. In: Plotkin S, Orenstein W, Offit P. Vaccines. 5th ed. Saunders Elsevier; 2008. p. 353-98
[6] Williams WW, Preblud SR, Reichelderfer PS, Hadler SC. Vaccines of importance in the hospital setting. Problems and developments. Infect Dis Clin North Am. 1989;3(4):701-22.
[7] Gohil SK, Okubo S, Klish S et al. Healthcare Workers and Post-Elimination Era Measles: Lessons on Acquisition and Exposure Prevention. Clinical Infectious Diseases: An Official Publication of the Infectious Diseases Society of America. 2016;62(2):166-172. 
[8] Steingart KR, Thomas AR, Dykewicz CA, Redd SC. Transmission of measles virus in healthcare settings during a communitywide outbreak. Infect Control Hosp Epidemiol 1999;20(2):115-9
[9] Botelho-Nevers E , Cassir N, Minodier P et al.  Measles among healthcare workers: a potential for nosocomial outbreaks. Euro Surveill. 2011;16(2):
[10] Sabbe M, Hue D, Hutse V, Goubau P. Measles resurgence in Belgium from January to mid-April 2011: a preliminary report. Euro Surveill. 2011;16(16):19848
[11] Vermeeren A, Goffin F. Statistique de couverture vaccinale en 6ième primaire en Fédération Wallonie-Bruxelles en 2015-2016. Bruxelles. Provac; 2016. 

[12] Lopalco PL, Sprenger M. Do European doctors support measles, mumps, rubella vaccination programmes enough? Euro Surveill. 2011;16(39).

[13]  World Health Organization (WHO). Measles Nucleotide Surveillance (MeaNS) Database. Geneva: WHO. Available from: http://www.hpa-bioinformatics.org.uk/Measles/Public/Web_Front/main.php

[14] Grammens T, Schirvel C, Leenen S et al. Ongoing measles outbreak in Wallonia, Belgium, December 2016 to March 2017: characteristics and challenges. Euro Surveill. 2017;22(17). 

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