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L’infirmier-ère expert-e en prévention et contrôle de l’infection en Suisse, se dévoile.

Laetitia Qalla-Widmer - Unité cantonale HPCI Vaud, CHUV, Lausanne, Suisse Beatrice Duvillard - Unité de prévention et contrôle de l’infection, Réseau Hospitalier Neuchâtelois, Suisse

L’expert-e en prévention des infections associées aux soins est responsable, au sein d’une structure du domaine de la santé et dans les limites de son champ de compétences, de la prévention des infections nosocomiales et des maladies infectieuses transmissibles (prévention, détection, lutte) et de la surveillance. Il-elle assure des missions transversales et occupe une fonction de cadre au sein de l’Etat-major.

La Suisse étant un État fédéral (où 3 langues sont parlées), les obligations et les responsabilités dans le système de santé sont décentralisées. La loi fédérale sur les épidémies (LEp) [1] règle les responsabilités partagées entre les autorités fédérales, cantonales et communales, le rôle des cantons étant primordial. Les vingt-six cantons suisses ont chacun leur propre constitution. Il leur incombe d’autoriser les fournisseurs de prestations à exercer, de coordonner les services hospitaliers et de subventionner les institutions de santé. Il existe également une multitude d’institutions scientifiques au niveau fédéral ou cantonal, notamment les universités, les sociétés professionnelles, différentes associations ainsi que des groupes d’experts.

Un peu d’histoire


De l’infirmier-ère en hygiène hospitalière à l’infirmière en contrôle de l’infection. 

En 1986, les infirmiers-ères en hygiène changent de titre : « Infirmière en contrôle de l’infection ». Ce changement a pour objectif :  la reconnaissance de la fonction. L’hygiène hospitalière couvre un vaste domaine : l’environnement (air, eau, surfaces), la transmission des maladies infectieuses, l’application des Précautions Standard, etc.

Pendant de nombreuses années l’activité dévolue à l’hygiène hospitalière était assez restreinte. La fonction était souvent occupée par l’infirmière cheffe adjointe, puis sous l’impulsion de plusieurs infirmières en prévention des infections et de médecins, des comités d’hygiène s’organisent dans les hôpitaux et les cliniques. 

Un groupe d’intérêts regroupant les professionnels en hygiène hospitalière est constitué en 1987 sous l’égide de la société suisse d’hygiène hospitalière (SSHH)1, l’association suisse des infirmiers (ASI)2 et des d’infirmiers et infirmières. 

Rapidement, les problèmes linguistiques au sein du comité ont émergé, mais la volonté de renforcer le profil professionnel au plan national a favorisé sa pérennité. Dès 1989, les premières infirmières suivent la formation postgrade en hygiène hospitalière. En 1994, deux groupes d’intérêt communs de spécialistes infirmiers en prévention des IAS sont créés ; le SIPI3 groupe francophone, et le FIBS4 groupe alémanique. Les professionnels tessinois se répartissent dans les deux groupes, selon leur niveau de compréhension de la langue. La formation débute en Suisse romande, à l’Ecole Supérieure d’Enseignement Infirmier (ESEI) et s’inscrit dans le programme d’infirmier-ère clinicienne. 

1 Voir : https://www.sgsh.ch/fr/page-daccueil.html (consulté le 13.11.2020)
2 Voir : https://www.sbk.ch/fr/association/groupes-dinterets-communs (consulté le 13.11.2020)
3 Groupe romand d’intérêts communs des « Spécialistes infirmiers en prévention de l’infection » de l’association suisse des infirmiers : https://www.sipi.ch/ (consulté le 13.11.2020)
4 Fachexperten für Infektionsprävention und Berater für Spitalhygiene. Groupe d’intérêts communs de l’ASI. Voir : https://fibs.ch/hygiene-spital-interessensgruppe-schweiz-ueber/ (consulté le 13.11.2020)

Un nouveau diplôme pour une profession en constante évolution

La formation d’infirmier-ère en hygiène s’est déclinée en trois cursus différents :

• la formation des infirmières en contrôle de l’infection créée en 1987,

• la formation des infirmières spécialistes clinique en prévention et contrôle des infections initiée en 1999,

• et depuis 2010, la formation supérieure professionnelle des infirmières expertes en prévention des infections associées aux soins (EPIAS).  Cette dernière formation est proposée par les centres de formation ; Espace Compétences en Suisse romande et par H+ Bildung en Suisse alémanique. L’examen fédéral est placé sous la responsabilité de l’organisation nationale pour la formation dans le domaine sanitaire : l’OdAsanté5.

Le référentiel de formation a été remanié en 2012. Il a pour finalité de préparer à l’exercice du métier en développant des savoir-faire et des compétences permettant d’agir dans des situations professionnelles spécifiques et complexes.

Profil d’un-e expert-e en prévention des infections associées aux soins 

Vers un profil professionnel très spécifique, ou plus large ?

L’experte en prévention des infections associées aux soins (IAS) exerce sa fonction dans une ou plusieurs institutions sanitaires. Selon la situation et le mandat confié, l’experte coopère avec des services et des institutions de la santé publique (organisations nationales et internationales, associations, écoles professionnelles, centres de recherche et services locaux) et siège au sein de commissions ou de groupes de travail internes et externes. Le profil professionnel attendu est donc multiple. Par son travail, l’experte apporte sa contribution à la qualité des soins et à la sécurité des patients. 

Dans la majorité des hôpitaux, la fonction est valorisée à l’instar des spécialistes en soins intensifs, ou en soins d’anesthésie. Parfois, elle occupe la fonction de spécialiste clinique en prévention et contrôle de l’infection. L’experte en prévention et contrôle des infections occupe une fonction clé dans la prévention des infections IAS et dans la gestion du risque infectieux. Toutefois, elle occupe en réalité une position de cadre peu reconnue, pour lui permettre d’accomplir efficacement ses fonctions. 

Il est donc essentiel que le programme de formation soit adéquat et que son statut corresponde à ses nombreuses responsabilités.

Se former pour développer de nouvelles compétences 

La formation est validée en deux ans, au terme de l’acquisition de 5 compétences ; 3 compétences métiers et 2 compétences transversales.

Compétences métiers (compétences clés) :

• Prévention et surveillance des infections nosocomiales 
• Interventions en cas de maladies infectieuses en milieu de soins 
• Création et développement des concepts de prévention des infections

Compétences transversales (compétences de soutien) :

• Formation, communication et consultation 
• Processus de changement et conduite de projets institutionnels ou à plus large échelle

Le programme de formation prépare à l’examen professionnel supérieur, soit le diplôme fédéral supérieur d’expert en prévention des infections associées aux soins. 

La loi est-elle de notre côté ?

De nouvelles lois ont vu le jour. 

Dans le cadre de sa stratégie globale « Santé2020 » [2], le Conseil fédéral a défini la réduction des infections liées aux soins comme mesure de premier ordre, afin de mieux protéger la santé de la population.

La nouvelle loi fédérale sur les épidémies, entrée en vigueur début 2016, prescrit à la Confédération et aux cantons de définir conjointement des objectifs et des stratégies visant à dépister, surveiller, prévenir et combattre les maladies transmissibles. Une stratégie nationale de surveillance, de prévention et de lutte contre les IAS (Stratégie NOSO) [3] qui vise à réduire le nombre d’infections contractées en Suisse dans les hôpitaux et les établissements médico-sociaux (EMS) a été approuvée par le conseil fédéral. L’Office fédéral de la santé publique, en collaboration avec les cantons, les hôpitaux, les EMS et d’autres acteurs majeurs est chargé de la mettre en œuvre (Figure 1).

5 Organisation nationale faîtière de la formation du domaine de la santé : https://www.odasante.ch/fr/examens/ (consulté le 13.11.2020)

Figure 1 : Modèle de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre les infections liées aux soins (Stratégie Noso).

 

Cette stratégie a pour objectifs de coordonner les nombreuses mesures déjà prises, leur mise en œuvre systématique et une meilleure surveillance de la situation à l’échelle nationale. 

En Suisse, l’organisation de la prévention des infections est très hétérogène dans les établissements de soins. Certains cantons disposent de programmes cantonaux de prévention des IAS, dans lesquels des spécialistes de la prévention des infections détiennent un mandat cantonal pour la prévention globale des infections dans les hôpitaux, les EMS et les organisations de soins ambulatoires.

D’autres hôpitaux (universitaires, cantonaux et régionaux) et cliniques disposent de leur propre service de prévention et contrôle de l’infection, dans lequel travaillent des experts en prévention des IAS sous la direction d’un médecin spécialiste en infectiologie FMH (Fédération des médecins suisses). Dans de nombreuses institutions, la prévention des infections est subordonnée à une unité et ne relève pas d’une fonction transversale au plan organisationnel.

Néanmoins, tous les établissements de santé doivent mettre en œuvre le programme de prévention des IAS. Ceci implique d’accéder aux compétences d’un professionnel diplômé en prévention et contrôle des infections ou à défaut à des référents en PCI. Ces ressources devraient être proportionnelles à la taille de l’établissement, à la complexité des missions et à la catégorie de patients pris en charge. 

Un des éléments clés de cette nouvelle stratégie concerne la dotation des professionnels en prévention des IAS. Plusieurs cantons [4] se sont penchés sur la question complexe des effectifs requis en professionnels spécialisés en prévention des IAS dans les lieux de soins, en se basant sur diverses études. 

Les recommandations sont 0.7 EPT6 d’infirmière en prévention de l’infection pour 100 lits avec plateau technique (secteurs de soins aigus avec soins intensifs et/ou bloc opératoire). Dans les secteurs de soins sans plateau technique (centre de réadaptation, gériatrie, psychiatrie) il s’agit d’un 0.4 EPT d’infirmière en prévention de l’infection pour 100 lits. Pour les établissements de soins chroniques, le taux recommandé est 0.2 EPT d’infirmière en PCI (expert ou un répondant en PCI formé) pour 100 lits. 

Les recommandations de dotation se fondent sur le nombre de lits occupés, sur la portée du programme de prévention et du contrôle des IAS, la complexité du lieu de soins, les caractéristiques de la population de patients ou de résidents et les besoins de l’établissement.

C’est un bon début, mais dans ces recommandations on ne tient pas compte du rôle sans cesse élargi des programmes de prévention et du contrôle des IAS, l’augmentation des bactéries hautement résistantes, les interventions dans les projets de conception et de construction, et la participation aux divers groupes de travail. Finalement, on oublie que les structures sanitaires de taille modeste n’ont pas les ressources nécessaires pour recruter un professionnel en prévention des IAS. Certains établissements n’ont pas la dotation prédéfinie, par manque de professionnels diplômés disponibles ou de budget alloué à cette activité. 

Le succès du déploiement et de la pérennisation de la stratégie nationale (Stratégie NOSO) au niveau des cantons nécessite la création et le développement d’outils de monitorage. Elle nécessite également la formation de professionnels en prévention des IAS, la création de postes en prévention et du contrôle des IAS dans les établissements non dotés ou partiellement dotés, afin de favoriser l’intégration et l’application des normes et des directives cantonales. C’est pourquoi, l’association romande des spécialistes infirmiers en prévention de l’infection (SIPI) s’est engagée auprès d’autres associations professionnelles, organisations et autorités cantonales dans la mise en œuvre de la Stratégie NOSO.

L’avenir de la formation en Suisse… 

La consolidation de notre rôle est un processus continu, difficile mais indispensable.

Les associations des spécialistes infirmiers en prévention des IAS francophone (SIPI) et germanophone (FIBS), œuvrent de concert à la reconnaissance et au perfectionnement de la profession des expertes en prévention des IAS. 

La fonction d’experte en prévention des IAS est un domaine de spécialité reconnu par l’Association suisse des infirmier et infirmières, car elle exige un savoir et des compétences autres que celles requises dans le cadre de la pratique générale de l’infirmière. L’élaboration et la mise en œuvre d’un programme en prévention et du contrôle des IAS nécessitent des connaissances spécialisées dans plusieurs domaines énumérés précédemment, afin d’assurer la qualité et la sécurité des soins en tout temps. Afin de satisfaire aux compétences requises pour l’exercice de la fonction, la formation dispensée aux infirmières en PCI doit rendre l’apprentissage plus efficace et renforcer leur autonomie pour atteindre le niveau d’expert attendu. C’est pourquoi, un groupe de travail composé par les membres de la commission de formation (SIPI et centre de formation) a développé une nouvelle approche basée sur le blended learning, afin de rendre l’apprentissage plus efficient. Cette nouvelle approche pédagogique permet de renforcer dès le début de la formation l’autonomie des professionnels en PCI. 

Le blended learning est une méthode d’enseignement mixte associant, les études en ligne (e-learning) avec des sessions de cours en présentiel. Cette approche pédagogique dynamique incite l’apprenant à faire ses propres recherches, à approfondir les domaines théoriques présentés aux cours ou à anticiper le cours suivant. L’infirmière en prévention des IAS développe ainsi des capacités à résoudre les problèmes complexes, approfondit ses connaissances et développe des ressources. La formation exige des futures expertes qu’elles prennent du temps pour travailler en dehors des cours en présentiels.

Perspectives et conclusion

La crise sanitaire récemment vécue en lien avec la pandémie au SARS-CoV-27 place l’ensemble des systèmes de santé sous haute tension. Elle a placé tous les professionnels de la prévention des IAS devant un défi de taille où le rôle de l’infirmière en prévention des IAS a été plus que remarqué. De la gestion ordinaire d’une épidémie à une pandémie hors norme où tout dérape. 

Quand cellule de crise, rime avec bataille des EPI ou avec le manque de matériel de protection individuelle. Que faire quand on n’a pas sous la main le matériel de protection essentiel (masque, surblouse) ou suffisamment de lits ? La gestion de crise requiert des adaptations rapides et multiples.  L’experte en prévention des IAS intervient dans un contexte tendu et en grande difficulté. Tels sont désormais les défis de prévention et de contrôle des infections à relever. 

6 EPT : l’équivalent plein-temps sert à mesurer le travail fourni par un employé. il est égal à 1 pour un employé à plein temps.
7 Severe acute respiratory syndrome coronavirus : syndrome respiratoire aigu sévère coronavirus.

Références

• [1] Loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles à l’homme LEp 818.101

• [2] Office fédéral de la santé publique. Stratégie globale pour le système de santé – Santé 2020. Confédération suisse. 2013. Accessible à : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/gesundheit-2020/eine-umfassende-strategie-fuer-das-gesundheitswesen.html (consulté le 24.06.2020)

•[3] Conseil fédéral. La stratégie NOSO en bref. Stratégie nationale de surveillance, de prévention et de lutte contre les infections liées aux soins. Confédération suisse. 2016. accessible à : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/nationale-gesundheitsstrategien/strategie-noso–spital–und-pflegeheiminfektionen.html (consulté le 23.06.2020)

• [4] Unité cantonale vaudoise. Programme cantonal vaudois de lutte contre les infections associées aux soins. Canton de Vaud. Confédération suisse. 19.09.2018.accessible à : https://www.hpci.ch/hpci-vaud/organisation-mission-du-programme-cantonal (consulté le 23.06.2020).

https://www.sipi.ch/wp-content/uploads/2020/12/En-direct-du-…SIPI-HY_XXVIII_5_Qalla_En-direct.pdf

 

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