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Fièvre d’EBOLA et la crise de 2014 (28 octobre 2014)

Prof. Patrick GOUBAU - Virologie médicale, Cliniques Universitaires St Luc / UCL

En 1976 deux épidémies concomitantes d’une fièvre hémorragique firent leur apparition à Yambuku, dans ce qui s’appelait alors le Zaïre, et à Maradi dans le sud du Soudan. Des équipes internationales furent engagées, auxquelles participa l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers au Zaïre, et purent rapidement caractériser ces épidémies et en trouver la cause, un filovirus ressemblant au virus de Marburg. On donna au virus le nom d’Ebola, qui est une rivière coulant près de Yambuku. (1,2,3) Très rapidement il fut clair que les hôpitaux servaient de source ou d’amplificateurs de l’épidémie. De nombreux soignants étaient touchés et les mesures préconisées à ce moment restent toujours d’actualité : « Virus transmission was interrupted by stopping injections and by isolation of patients in their villages. Use of protective clothing and respirators, strict isolation of patients, and careful disposal of potentially contaminated excreta and fomites will almost certainly prevent future major outbreaks. The virus is probably rarely transmitted by infectious aerosols, although infection via large droplets remains a possibility.” (2)
La maladie de Marburg se présenta en 1968 comme une épidémie de fièvre hémorragique touchant 30 personnes travaillant dans des laboratoires en Allemagne (essentiellement à Marburg) et en Yougoslavie. Ils furent infectés par des cellules de singes verts contaminés provenant d’Ouganda. En outre, une femme fut très certainement contaminée sexuellement par son mari.(4) Depuis lors des cas isolés et de petites épidémies ont été décrits en Afrique équatoriale.

Le virus

Le virus appartient au genre Ebola, qui avec le virus de Marburg forme les Filoviridae. Récemment un nouveau genre de Filoviridae encore non officiel, Lloviuvirus, a été décrit chez des chauves-souris insectivores en Espagne. (5,6) On divise les virus Ebola en 5 espèces :

  • Zaire Ebolavirus, première espèce décrite lors de la première épidémie au Zaïre
  • Sudan Ebolavirus, espèce apparue au Soudan au même moment que la précédente.
  • Tai forest Ebolavirus (anciennement Côte d’Ivoire Ebolavirus), a infecté une seule personne, une ethnologiste ayant autopsié un chimpanzé décédé naturellement.
  • Bundinugyo Ebolavirus, isolé lors d’une petite épidémie en Ouganda.
  • Reston Ebolavirus, isolé chez des macaques provenant des Philippines et non-pathogène pour l’homme.

 Ce sont des virus enveloppés à ARN de polarité négative dont les particules apparaissent comme des fils plus ou moins longs en microscopie électronique. C’est un pathogène de classe de risque 4 (BSL4), c.à.d. la plus haute. Toute manipulation de matériel infecté nécessite un laboratoire du plus haut niveau de biosécurité L4.  Le virus est très stable à température ambiante, mais est inactivé en 30 minutes à 60°C. La concentration de virus infectieux baisse rapidement avec de fortes doses de lumière ultraviolette, de rayons gamma ou sous l’action de solvants lipides, de β-propiolactone, isothiocyanate de guanidium, solutions d’hypochlorite et désinfectants phénoliques ou alcooliques. L’utilisation des Filoviridae par des laboratoires est régulée dans le cadre de lois sur le bioterrorisme.

Epidémiologie

Les hôtes naturels des virus Ebola sont très probablement des chauves-souris frugivores, qui sont des porteuses asymptomatiques du virus (7,8). A partir de ce réservoir elles peuvent contaminer des singes ou des hommes, qui tomberont malade. A partir de ce point le virus peut se transmettre à d’autres personnes. A l’intérieur d’une famille le risque de transmission est évalué à 10% alors que celui-ci monte à 80%, voire plus, pour ceux qui ont prodigué des soins. C’est donc une maladie qui se transmet facilement dans les services de santé, particulièrement si l’hygiène de ceux-ci est défaillante. Dans chaque épidémie on a remarqué que les hôpitaux servaient d’amplificateurs. Seuls les patients symptomatiques sont infectieux, mais toutes les sécrétions du patient sont infectieuses, y compris les selles et la sueur. Après le décès le cadavre reste dangereux pour la transmission et il faut éviter toute manipulation non protégée. (5)

Actuellement (2014), nous sommes confrontés à une épidémie par le Zaire Ebolavirus qui pour la première fois touche l’Afrique de l’Ouest et autant de personnes dans plusieurs pays (en septembre 2014 Liberia, Sierra-Leone, Guinée-Conackry, Nigeria). Les mesures efficaces qui avaient été prises lors des épidémies assez fréquentes en Afrique centrale n’ont visiblement pas été prises comme il fallait dans cette situation. Le taux de reproduction de base a été évalué à >1 et <2, ce qui permet l’arrêt en diminuant la transmission de plus de moitié,(10) mais l’épidémie est arrivée à une phase exponentielle qui requiert des moyens beaucoup plus importants pour en venir à bout. La réponse vis-à-vis des cas requiert une identification rapide, un isolement des patients et une recherche avec suivi des contacts pendant 21 jours. Venir à bout de la transmission virale n’est pas si difficile, car le virus est très sensible, mais extrêmement contraignant, chaque erreur peuvant être catastrophique pour le soignant. (9) Trois mesures préventives permettent de rompre le cycle infernal de l’épidémie : amélioration du niveau d’hygiène de base des infrastructures et isolement rapide (et donc identification rapide) des patients ; modification des rites funéraires si ceux-ci impliquent un contact physique avec le cadavre ; rétablir la confiance de la population dans les services médicaux et les autorités. A plus long terme des changements dans les habitudes de consommation de « bush meat » (viande de brousse) doivent être envisagées, afin d’éviter la répétition de tels accidents.

Image clinique.

Les infections par Filoviridae semblent bien entrainer la forme la plus sévère de fièvre hémorragique. Les symptômes commencent de façon abrupte après une incubation de 2 à 21 jours (généralement de 4 à 10 jours). Au début le patient présente de la fièvre, des frissons, du malaise et des myalgies, tous symptômes pouvant être confondus avec de nombreuses maladies fébriles, particulièrement la malaria. Rapidement une atteinte multisystémique se développe avec prostration et signes abdominaux, respiratoires, vasculaires et neurologiques. Des phénomènes hémorragiques se développent au plus fort de la maladie chez à peu près la moitié des patients. Un rash maculopapulaire est souvent remarqué vers le 5ième à 7ième jour de maladie, qui entraine une desquamation chez les survivants. Avant le décès des signes de choc, de convulsions, de sévères troubles métaboliques et de coagulopathie diffuse se développent. Le décès survient vers le 6ième à 16ième jour. (11) Le pronostic est extrêmement mauvais pour les femmes enceintes atteintes et la fausse couche est la règle. (12)

Traitement.

Le traitement est essentiellement supportif, bien que plusieurs traitements expérimentaux soient actuellement administrés en désespoir de cause. Il est important de ne pas oublier des causes pouvant être traitées comme la malaria ou la fièvre typhoïde. On conseille de limiter les prélèvements pour le laboratoire à un minimum étant donné le danger des prises d’échantillon pour le personnel soignant et de l’analyse pour le personnel de laboratoire. (12) Dans beaucoup de centres on n’effectue pas de prélèvements, hormis la prise de sang pour confirmer le diagnostic (sang sur EDTA ou citrate pour PCR et détection d’anticorps). Un traitement est donné de façon systématique contre la malaria, ainsi qu’un antibiotique couvrant la fièvre typhoïde. Des perfusions doivent permettre de maintenir une volémie correcte, sans avoir beaucoup de possibilités de mise au point précise. Lors des soins au patient il est impératif d’être couvert complètement, y compris yeux et muqueuses, sans aucun espace de peau nue, ce qui peut poser des problèmes lorsqu’il fait chaud. Il faut une procédure précise et des soins méticuleux lors du déshabillage car l’extérieur de l’équipement protecteur peut être infectieux. (12)

Puisque nous sommes si impuissants devant cette maladie, il faut tout mettre en œuvre pour éviter l’extension d’une épidémie. Les mesures à prendre sont connues ainsi que les problèmes qui peuvent se poser du point de vue de la gestion de ces crises, (13) mais chaque retard rend leur implémentation plus difficile.
Actuellement (28 Octobre 2014) il semble y avoir bon espoir pour la mise en pratique d’un vaccin. L’application de ce vaccin dans la lutte contre l’épidémie doit encore être précisée.

Risques de l’épidémie actuelle pour les pays hors de l’Afrique

Il est presque indécent de parler d’autres problèmes que de l’expansion catastrophique de l’épidémie actuelle dans les pays africains. Il est cependant évident que le risque de voir apparaître des cas d’infection Ebola chez des personnes revenant des régions affectées ou même déjà diagnostiqué dans ces pays et rapatriée, est réel mais cependant faible.(14) Les autorités ont émis des avis dont celui du Conseil Supérieur de la Santé en Belgique, qui reprend dans les grands lignes les recommandations faites dans d’autre pays. (15) Il est demandé à tous les hôpitaux d’établir une procédure pour recevoir ces patients sélectionnés sur base géographique de façon sécurisée afin éventuellement de confirmer le diagnostic et en tous cas de ne pas passer à côté d’une pathologie telle que la malaria ou la fièvre typhoïde qui toutes peuvent être efficacement traitées. Depuis octobre 2014 le diagnostic de fièvre Ebola peut être confirmé à l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers.

Perspectives.

Les problèmes soulevés par cette épidémie doivent nous pousser à réfléchir sur les disparités dans les services de santé entre les pays riches et pays pauvres. Ils doivent aussi pousser à une réflexion sur les effets néfastes de phobies collectives et tous les dysfonctionnements qui en découlent. Ils ont également jeté une lumière crue sur notre incapacité à mettre en œuvre rapidement les décisions nécessaires devant une situation de crise qui touche des pays moins nantis, mais nécessite un e coordination internationale. Gardons à l’esprit que nous vivons dans un monde de plus en plus interconnecté où ce qui se passe à n’importe quel endroit de la planète peut rapidement avoir un impact à grande distance.

Bibliographie 

1. Report of a WHO/International Study team – Ebola haemorrhagic fever in Sudan, 1976 – Bulletin of the World Health Organization, 56: 247-270, 1978
2. Report of an International Commission. – Ebola haemorrhagic fever in Zaïre, 1976 – Bulletin of the World Health Organization, 56: 271-293, 1978.
3. Malherbe H. & Strickland-Cholmley M. – Human disease from monkey (Marburg virus) – Lancet i (7557): 1434, 1968.
4. Martini G.A. – Marburg virus disease – Postgraduate Medical Journal, 49: 542-546, 1973 
5. Feldmann H., Sanchez A. & Geisbert T.W. – Filoviridae: Marburg and Ebola Viruses – Chap. 32 in Fields Virology, sixth ed., 2013.
6. Negredo A., Palacios G., Vasquez-Moron S. et al, – Discovery of an Ebola-like virus in Europe – Plos Pathog 7 (10) e1002304. Doi 10.1371/journal.ppat.1002304, 2011.
7. Leroy E.M., Kumulungui B., Pourrut X. et al. – Fruit bats as reservoirs of Ebola virus – Nature 438, 575-576, 2005. 
8. Biek R., Walsh P.D., Leroy E.M. & Real L.A. – Recent comman ancestry of Ebola Zaire virus found in bat reservoir. – PLoS Pathog 2(10): e90. DOI: 10.1371/journal.ppat.0020090, 2006.
9. Frieden T.R., Damon I, Bell B.P., Kenyon T. & Nichol S. – Ebola 2014 – New Challenges, New Global Response and Responsibility. – New Eng J Med Aug 20, e-pub ahead of print, DOI: 10.1056/NEJMp1409903, 2014.
10. Nishiura H. & Chowell G. – Early transmission dynamics of Ebola virus disease (EVD), West Africa, March to August 2014, Euro Surveill. 2014;19(36):pii=20894, 2014 http://www.eurosurveillance.org/ViewArticle.aspx?ArticleId=20894
11. Feldmann H. & Geisbert T.W. –Ebola haemorrhagic fever – Lancet 377: 849-872, doi:10.1016/S0140-6736(10)60667-8,
12. Jeffs B. – A clinical guide to viral haemorrhagic fevers: Ebola, Marburg and Lassa. – Tropical Doctor 36: 1-4, DOI: 10.1258/004947506775598914,
13. Lamunu M., Lutwama J.J., Kamugisha J. et al. – Containing a haemorrhagic fever epidemic: the Ebola experience in Uganda (October 2000 – January 2001). – Int. J. Infect. Dis. 8: 27-37, 2004.
14. European Centre for Disease prevention and Control – Rapid risk assessment: outbreak of Ebola virus disease in West Africa – Third update, 1 August, Stockhom ECDC, 2014.
15. Callens S., De Mol P., Gérard M. et al. – Practical recommendations to the attention of healthcare professionals and health authorities regarding the identification of and care delivered to suspected or confirmed carriers of highly contagious viruses (of the Ebola or Marburg type) in the context of an epidemic outbreak in West Africa. – CSS avis 9188, 2014. http://tinyurl.com/CSS-9188-ebola

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