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« Fake news » et hygiène des mains : un phénomène à ne pas sous-estimer  

Pierre Parneix - Responsable du CPIAS Nouvelle Aquitaine, CHU de Bordeaux - France

Introduction   

Les « fake news » sont désormais monnaie courante dans un monde ultra connecté et pressé où il est devenu plus important de relayer l’information que de l’analyser. Le domaine scientifique n’échappe pas à cela évidemment. Mais pour transformer une « fake news » en « bad buzz », c’est-à-dire en courant médiatique négatif impactant une population, il faut la conjonction de trois éléments. Tout d’abord l’émetteur de la fausse information doit être soit incompétent soit malhonnête et s’il peut mélanger les deux ce n’en sera que plus efficace. Le sujet doit  ensuite être médiatique c’est-à-dire de nature à retenir l’attention de ceux qui conçoivent et diffusent l’information mais aussi de leur cible. Enfin, et c’est primordial, cette dernière doit être une proie adaptée pour ses prédateurs à savoir une population cible à même de recevoir avec bienveillance toutes les formes de théories du complot.

Un très beau travail a été fait sur cette théorie en France par Joël Gombin qui montre bien que le manque de confiance est un déterminant fort conspirationiste. Et pour revenir à nos félidés, il est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi c’est dans notre pays que les SHA (solutions hydro-alcooliques dites « chats » dans le langage parlé) sont régulièrement mises à mal dans les médias avec ensuite un vrai impact secondaire comportemental sur les professionnels. 

La France est l’une des meilleures dans ce domaine comme l’illustre la publication de Larson en 20161 concernant la défiance à la vaccination. Les auteurs ont évalué par pays le pourcentage de personnes qui n’était pas d’accord avec le fait que les vaccins étaient sûrs. Avec 67% de sceptiques la France a obtenu le triste privilège de monter sur la première marche du podium mondial mais notons au passage qu’avec 47% la Belgique affiche un niveau de défiance à surveiller.

Il n’est pas inutile de se plonger dans la théorie des dimensions culturelles de Geert Hofstede que notre collègue Maltais Michael Borg a été le premier à utiliser pour décrypter les disparités mondiales dans la maîtrise de la diffusion des SARM 2 (Staphylococcus aureus résistant à la méticilline) . Cette théorie s’appuie sur 6 dimensions pour expliquer les comportements d’une population et ses spécificités et son usage premier était à visée marketing. La spécificité française est de combiner un niveau élevé dans deux dimensions un peu antinomiques que sont l’individualisme et la distance au pouvoir. Cette dernière dimension reflète le niveau d’acceptation par une société de l’inégalité des pouvoirs entre individus et explique que dans notre pays on trouve dans les institutions et les entreprises beaucoup plus d’échelons hiérarchiques que dans des pays à priori similaires. Cette combinaison peut aboutir d’une part au rejet total des personnes au pouvoir mais plus souvent à une combinaison entre acceptation apparente de la hiérarchie et de ses préceptes associés à un comportement effectif opposé sur la base d’un sentiment de mieux connaître les choses que leurs précepteurs. Si on ajoute en plus notre dimension nationale la plus développée à savoir « l’évitement de l’incertitude » la situation se corse car cela fait des Français des personnes très résistantes au changement et désireuses d’une réglementation pléthorique pour les accompagner sans engagement pour autant à la respecter. A noter aussi que la Belgique dépasse la France dans cette dimension avec un score record de 94. Globalement les deux populations ont des caractéristiques assez voisines ce qui n’est pas forcément de bonne augure.

Car c’est donc sur ces bases que l’on a vu fleurir en France à partir de 2015 une série de « bad buzz » autour de la désinfection des mains avec les solutions hydro-alcooliques sans équivalent ailleurs dans le monde. Face à cela, et à la pression des spécialistes de l’hygiène et de la prévention des infections acculés dans leurs établissements par une vindicte croissante de certains professionnels, la Société Française d’Hygiène Hospitalière a appris à répliquer et a même développé un modèle de lutte sur lequel nous reviendrons. A chaque attaque la SF2H a mis en ligne une réplique sur son site internet pour permettre aux équipes d’argumenter sur le terrain. Avec l’aide de Didier Pittet 3, l’attention du monde scientifique a pu être attirée sur les risques associés à des articles scientifiques au contenu inadapté qui sont à chaque fois les déclencheurs du bad buzz. La seule exception à cette règle est survenue en 2017. Cette fois la publication scientifique venait d’un article américain publié dans Environmental Health Perspective 4, d’un niveau scientifique tout à fait acceptable. Suite à l’interdiction en 2016 par la FDA américaine dans les savons antiseptiques grand public de deux produits à visée antimicrobienne, classés perturbateurs endocriniens, que sont le Triclosan et le Triclocarban, des scientifiques se mobilisaient pour l’élargissement de cette mesure. Ils rappelaient que  leur utilisation durait depuis des décennies et que l’on en trouvait encore dans plus de 2 000 produits comme des savons, des dentifrices, des détergents, des habits, des jouets, des tapis, des plastiques et des peintures. A aucun moment il n’était fait mention de gels ou de solutions hydro-alcooliques dans cet article et pourtant le titre associé à cette publication par les médias français fut : « Gels antibactériens: Deux cents spécialistes alertent sur leurs dangers pour la santé ». Comble d’ironie, la très stricte réglementation européenne biocide a interdit l’usage dans les produits d’hygiène à usage humain, pour la peau et le cuir chevelu, du Triclocarban en 2008 et du Triclosan en janvier 2016. L’idée a pourtant longtemps circulé après en France et on la retrouve encore dans nombre de publication en ligne. En mars 2019, les médias sont même allés jusqu’à affirmer que les produits hydro-alcooliques étaient cancérigènes et tératogènes ; à la bonne heure. En remontant le fil de l’histoire on s’aperçoit que tout est venu de la publication d’une étude épidémiologique, pour une fois bien française, où les auteurs, s’intéressant aux risques professionnels liés aux solvants ont tout bonnement considéré le risque associé à un solvant alcoolique, réputé minime, à celui lié à une boisson alcoolique démontrée elle comme cancérigène. Il y a des approximations scientifiques qui sont parfois étonnantes.

Tout cela pourrait presque prêter à sourire si au fil des années une vraie défiance ne s’était installée vis-à-vis des produits hydro-alcooliques en France. Il n’est pas rare de se retrouver confronté à des étudiants en soins infirmiers débutant leur formation et qui refusent de se désinfecter les mains avec ces produits jugés trop dangereux. Pour mesurer l’ampleur du malaise la mission nationale d’appui à la prévention (MATIS), qui anime le site du RéPias en France, a conduit une étude nommée Pulpe’Friction dans laquelle sont évalués les freins à la friction des mains. La nocivité du produit arrive loin devant avec un pourcentage effrayant de 40% des soignants interrogés. Un vrai désastre qu’il ne sera pas facile de contrecarrer malgré tous les efforts engagés.

Dans son guide 2018 sur l’hygiène des mains, la SF2H a proposé une stratégie anti bad buzz en six points pour répondre aux attaques hélas continues. Il s’agit d’abord de se baser sur une analyse scientifique car les articles à l’origine des fake news sont souvent de méthodologie complexe avec des expériences multiples qui dissuadent la lecture du plus grand nombre. Par ailleurs, ces recherches sont souvent totalement déconnectées des pratiques réelles ce qui fait qu’il est impossible d’en inférer la moindre conclusion contributive sur le terrain. Ensuite, il faut contextualiser les phénomènes car le contexte, en particulier réglementaire, dans lequel les auteurs d’une étude évoluent est souvent très différent de celui du pays où leurs travaux génèrent des remous. Le maître mot reste de renforcer la confiance car la défiance collective est la base de l’impact négatif des messages. Rien ne serait pire que de répondre à une fake news par une contre vérité ou une approximation scientifique et il ne faut pas nier les problèmes s’ils s’avèrent réels. Par exemple, il n’y a pas de Bisphenol A, qui est aussi un perturbateur endocrinien, dans la composition d’un produit hydro-alcoolique comme cela est encore souvent dit. Par contre, il y en a dans nombre de flaconnages plastiques que l’on utilise au quotidien. En prévention du risque infectieux, comme ailleurs, il faut en déconseiller l’usage et inciter les industriels de notre discipline à en bannir l’utilisation. Appréhender les dimensions culturelles est l’étape suivante que l’on a déjà évoquée mais qui est incontournable pour comprendre ses interlocuteurs et leurs réactions. Il est désormais indispensable de s’ouvrir aux outils modernes de communication et la présence dans les médias et les médias sociaux des professionnels du contrôle de l’infection est nécessaire. Chaque fois que l’on ne prend pas la parole en tant qu’expert on la laisse à un autre, qui lui n’a pas l’expertise mais a des opinions, ce qui est évidemment légitime. Enfin, on se doit de donner du sens à la pratique et aux outils et de proposer à nos collègues soignants des mesures de prévention pragmatiques et réalisables dans le contexte de soins du moment.

Si vous souhaitez mettre en application ces principes cela est facile et, en pleine saison grippale, il suffit de se plonger dans la dernière fake news en date qui nous vient d’un article 5 laissant à penser que les produits hydro-alcooliques seraient inefficaces sur le virus de la grippe. Vous pouvez trouver une proposition de solution à l’exercice sur le site du Répias et dans un nouvel article de l’équipe de Didier Pittet. 6

Il appartient désormais à chaque spécialiste de la prévention de s’armer contre ce nouveau fléau et de contribuer à l’œuvre pédagogique délicate qui consiste à restaurer la vérité et la confiance.

 Références

1. Larson Heidi J. et al. The State of Vaccine Confidence 2016: Global Insights Through a 67-Country Survey. EBioMedicine, 2016; 12: 295–301.

2. Borg MA. Cultural determinants of infection control behaviour: understanding drivers and implementing effective change. J Hosp Infect, 2014;86:161-8.

3. Peters A et al. Fighting the good fight: the fallout of fake news in infection prevention and why context matters. J Hosp Infect, 2018;100:365-370.

4. Halden RU et al. The Florence Statement on Triclosan and Triclocarban. Environ Health Perspect. 2017 ;125:064501-1-13. 

5. Hirose R et al. Situations Leading to Reduced Effectiveness of Current Hand Hygiene against Infectious Mucus from Influenza Virus-Infected Patients. Sphere, 2019;4:1-16.. 

6. Peters A et al. Alcohol-based handrub and Influenza A: the danger of publishing a flawed study with no clinical relevance. J Hosp Infect. 2019 doi: 10.1016/j.jhin.2019.10.004. [Epub ahead of print] 

 

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