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Évaluation de la prolongation de la durée de maintien des cathéters périphériques courts

Frank Van Laer, Hilde Jansens, Emiel Goovaerts - Équipe d’hygiène hospitalière, UZA (hôpital universitaire d’Anvers)

Introduction   

Les directives américaines du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) recommandent de ne pas remplacer chez les adultes les cathéters périphériques plus fréquemment que toutes les 72 à 96 heures à des fins de prévention de la phlébite. En 2011, le CDC n’était pas encore en mesure de formuler des recommandations concernant le remplacement de cathéters périphériques chez les adultes uniquement en présence d’indications cliniques, sauf chez les enfants (1).
Dès 2000, le Conseil supérieur de la Santé (CSS) mentionnait cependant dans les recommandations générales belges relatives à la prévention des infections intravasculaires que « le risque et les avantages du repositionnement de routine du cathéter doivent être mis en balance avec le risque de complications d’ordre mécanique et la disponibilité d’un emplacement alternatif. Le choix du matériel et la fréquence de remplacement sont adaptés à chaque patient. Le matériel intravasculaire est toujours retiré dès que l’indication clinique justifiant sa mise en place cesse d’exister. ». Dans les recommandations spécifiques, le CSS indique que chez les adultes, un cathéter veineux périphérique court est habituellement retiré au bout de 72 heures afin de minimaliser le risque de thrombophlébite et d’infection. Si aucune autre voie d’accès n’est disponible, un cathéter veineux périphérique peut être maintenu en place durant plus de 3 jours (2).

Le groupe de travail néerlandais en charge de la prévention des infections (WIP) recommande de ne pas retirer les cathéters périphériques de façon routinière, mais bien immédiatement dès l’apparition des moindres signes de phlébite. Il n’est pas mentionné de durée de maintien maximale. Le WIP étaie cet avis par l’absence de publications d’études randomisées établissant que le remplacement de routine de cathéters veineux périphériques utilisés à des fins de perfusion prévient le risque d’infection ou de phlébite (3). Cet avis rejoint celui de l’Infusion Nurses Society américaine (4).

En 2015, The Cochrane Collaboration a publié une mise à jour de la revue des études randomisées contrôlées comparant le remplacement de cathéters périphériques reposant sur des indications cliniques et le remplacement de routine. La revue n’a pas relevé de preuves scientifiques justifiant le remplacement des cathéters périphériques toutes les 72 à 96 heures (5).

Étant donné que la procédure de l’UZA prévoit elle aussi le remplacement des cathéters périphériques toutes les 96 heures, il a été décidé, après approbation émise par le comité d’hygiène hospitalière lors de son assemblée du 26 novembre 2009, d’évaluer la prolongation de la durée de maintien.

Matériel et méthodes

Deux services infirmiers (cardiologie et gastro-entérologie) étaient disposés à appliquer à partir d’août 2014 et jusqu’en avril 2016 inclus un nouveau protocole consistant à ne remplacer un cathéter périphérique qu’à l’apparition de symptômes de phlébite ou lorsque l’indication clinique justifiant sa mise en place cesse d’exister. Durant cette période, tous les patients chez qui un cathéter périphérique avait été placé ont été enregistrés. Il était demandé de compléter pour chaque patient un formulaire d’enregistrement mentionnant la date de mise en place, la date d’apparition de la phlébite, la date d’ablation du cathéter, le type et le diamètre du cathéter, l’utilisation ou non de citrate pour le verrouillage, etc. Le traitement et l’encodage des données manquantes ont été assurés par l’équipe d’hygiène hospitalière.
Pour le calcul du caractère significatif, il a été recouru au test du khi carré (niveau significatif <.05)..

Résultats

a) Données des patients

Au total, les données de 214 patients avec cathéter périphérique ont pu être récoltées. Il s’agissait pour la plupart de patients de cardiologie (n= 193) vu que l’enregistrement a été, pour des raisons organisationnelles, abandonné à un stade précoce au service de gastro-entérologie.
Les données démographiques ont pu être récoltées pour 143 patients : 85 hommes et 58 femmes, d’un âge moyen de 66,5 ans (fourchette : 29-94 ans).

b) Données des cathéters

Sur les 214 patients, 203 (94,9 %) se sont vu implanter un cathéter périphérique de sécurité de type Nexiva® ; chez 11 autres patients (5,1 %), soit il s’agissait d’un autre type de cathéter de sécurité, soit l’information était manquante.
La durée de maintien moyenne des cathéters était de 5,3 jours (fourchette : 0-23 jours) ; médiane : 5 jours ; écart interquartile (EI) : 5 jours. Lors du calcul, le jour de la mise en place a été considéré comme le jour 0 et n’a donc pas été pris en compte dans le calcul de la durée de maintien exprimée en nombre de jours.
Pour 161 cathéters, le diamètre (en gauges) a également été enregistré (tableau 1).

Tableau 1 : Répartition des cathéters selon le diamètre, étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA.

c) Phlébite

Des symptômes de phlébite ont été enregistrés chez 35 des 214 patients observés (16,4 %). Le tableau 2 mentionne la nature des symptômes indiquant une phlébite (naissante).

Tableau 2 : Nature des symptômes indiquant une phlébite (naissante), étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA.


Le graphique 1 présente l’incidence de la phlébite en fonction de la durée de maintien du cathéter.

Graphique 1 : Incidence de la phlébite, étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA.

Le tableau 3 présente l’incidence de la phlébite en fonction de l’emplacement du cathéter.

Tableau 3 : Incidence de la phlébite en fonction de l’emplacement, étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA.

Le tableau 4 présente, pour les 161 cathéters dont le diamètre a également été enregistré, l’incidence de la phlébite en fonction du diamètre du cathéter.

Tableau 4 : Incidence de la phlébite en fonction du diamètre du cathéter, étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA

 

 

 

 

Le tableau 5 présente l’incidence de la phlébite en fonction de l’utilisation ou non d’un verrou au citrate.

Tableau 5 : Incidence de la phlébite en fonction de l’utilisation ou non d’un verrou au citrate, étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA.

Le tableau 6 présente l’incidence de la phlébite en fonction de la durée de maintien et de la présence ou non d’un verrou au citrate.

Tableau 6 : Incidence de la phlébite pour les cathéters verrouillés/non verrouillés au citrate en fonction de la durée de maintien, étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA.

La durée de maintien moyenne des cathéters verrouillés au citrate était de 5,8 jours (0-20) ; médiane : 5 jours ; EI : 4 jours.

Le tableau 7 présente le nombre de cathéters épargnés en ne remplaçant plus les cathéters de façon routinière.

Le tableau 7 : Nombre de cathéters épargnés, étude relative à la durée de maintien des cathéters, UZA.

Débat

Le plus grand risque de phlébite se présente durant la période entre le jour 0 et le jour 4 inclus. La rougeur est le symptôme le plus fréquemment enregistré indépendamment de la durée de maintien. Lorsque le cathéter était maintenu en place pendant moins de 5 jours, 21,2 % des patients ont développé une phlébite. Les patients qui n’avaient pas encore développé de phlébite pendant cette période couraient un risque nettement atténué d’encore y être sujets : 11,8 %, soit un risque de 44,3 % inférieur (p=0,06).
La présence d’un verrou au citrate semble avoir un effet protecteur : sur les 130 patients chez qui un verrou au citrate avait été utilisé, 11,5 % ont développé une phlébite, contre 23,8 % parmi les patients dont le cathéter n’avait pas été verrouillé au citrate (p=0,018). L’écart en termes d’incidence de la phlébite est le plus important pour les cathéters maintenus en place pendant moins de 5 jours (11,8 % contre 30,2 %). Une étude de Viale et al. (6) rapporte également un risque de phlébite inférieur lors de l’utilisation de verrous à l’héparine.
Lorsque seuls les cathéters verrouillés au citrate ont été étudiés, aucun écart n’a été relevé en fonction de la durée de maintien au niveau du pourcentage de patients ayant développé une phlébite (11,8 % dans les quatre jours suivant la mise en place, contre 11,4 % plus de 4 jours après la mise en place).
Une incertitude subsiste quant à l’effet protecteur du verrouillage en soi. En effet, précisément chez les patients où l’administration de médication intraveineuse était fréquente (par exemple toutes les 4 heures) – de même donc que les manipulations – le rinçage était uniquement effectué avec du sérum physiologique. Il est possible que les manipulations fréquentes engendrant une irritation des veines augmentent le risque de développer une phlébite.
Aucun rapport n’a pu être prouvé entre le diamètre du cathéter et le risque de phlébite, ce qui rejoint les conclusions d’autres études (7). Il apparaît en revanche que le risque est légèrement moins important chez les patients dont le cathéter a été placé dans la main ou le poignet (10,5 %) que chez ceux où il l’a été dans d’autres zones du bras (à l’exception du pli du coude) (≥16,7 %).
Si l’on avait appliqué la fréquence de remplacement d’une fois tous les 4 jours, 263 cathéters auraient au total été utilisés pour les 214 patients étudiés. En prolongeant la durée de maintien, 159 cathéters ont été épargnés, soit une économie de 60,5 %.
Si l’on extrapole ce chiffre à l’hôpital tout entier, cela revient sur la base de la consommation de 2014 à une économie de 36 421 cathéters, soit un montant de 118 987 euros.
En réalité, l’économie est peut-être même encore plus importante étant donné que ce calcul repose uniquement sur le cathéter Nexiva® et non sur un autre cathéter de sécurité qui est utilisé au bloc opératoire ; ce dernier a toutefois généralement une durée de maintien plus courte (par ex. après une chirurgie en clinique de jour), de sorte que l’impact sur une économie potentielle est plus limité.
Cette étude a ses limites étant donné qu’il n’a pas été tenu compte de la nature de la médication intraveineuse administrée ni de la pathologie sous-jacente du patient (comme le diabète). Une autre restriction est créée par le fait que l’enregistrement a été assuré par le personnel infirmier des services concernés, ce qui induit éventuellement une sous-estimation du nombre de cas de phlébite (certains n’ayant éventuellement pas été rapportés). Pour cette raison, l’équipe d’hygiène hospitalière a procédé par échantillonnage à une validation randomisée de 21 formulaires d’enregistrement. Dans le cadre de cette validation, seul l’aspect « présence de symptômes de phlébite » a été contrôlé en fonction du dossier médical et infirmier. La taille de l’échantillon (10 %) a été déterminée sur la base des instructions de l’International Library of Measures (ILoM). La correspondance était de 95,2 %, de sorte que les résultats peuvent être considérés comme fiables.

Conclusion

La prolongation (> 96 heures) de la durée de maintien des cathéters périphériques n’augmente pas le risque de phlébite. Le plus grand risque pour le patient se manifeste en effet plus tôt qu’au bout de 96 heures (4 jours).
Au titre de conclusion, nous pouvons faire référence à la publication de Webster et al. (5) qui estime qu’il peut être envisagé de ne remplacer les cathéters périphériques qu’en présence d’indications cliniques. Cette approche permettrait une économie substantielle et éviterait aux patients de souffrir inutilement lors du remplacement de routine des cathéters en l’absence d’indications cliniques. Cependant, pour éviter les complications créées par les cathéters périphériques, l’emplacement du cathéter doit être inspecté quotidiennement et à chaque shift, et retiré immédiatement en cas de signes d’inflammation, d’extravasation ou d’obstruction, ou lorsque l’indication clinique justifiant sa mise en place cesse d’exister.

Références bibliographique

Centers for Disease Control and Prevention. Guidelines for the Prevention of Intravascular Catheter-Related Infections, 2011.

Conseil supérieur de la Santé. Recommandations relatives à la prévention des infections nosocomiales. Soins aux patients. Octobre 2000.

Werkgroep Infectie Preventie. Flebitis en bloedbaaninfecties door intraveneuze infuuskatheters. Rédaction : avril 2010. Ajout : octobre 2010. Révision : avril 2015.

Infusion Nurses Society. Infusion Nursing. Standards of Practice. Journal of Infusion Nursing, 34, 1S; janvier/février 2011.

Webster J, Osborne S, Rickard CM, New K. Clinically-indicated replacement versus routine replacement of peripheral venous catheters. Cochrane Database of Systematic Reviews 2015, Issue 8. Art. No.: CD007798. DOI: 10.1002/14651858.CD007798.pub4.

Viale P, Colombini P, Pagani L. Safety of short-term peripheral intravenous catheters (PIC) left in place for longer than recommended. Poster P15.06 at the 5th International Conference of the Hospital Infection Society, 2002.

Salgueiro Oliveira A, Veiga P, Parreira P. Incidence of phlebitis in patients with peripheral intravenous catheters: The influence of some risk factors. Australian Journal of Advanced Nursing, 2013; 30 (2):32-39.

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