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Contamination d’un patient par le virus de la grippe, par un membre du personnel, et responsabilité. Réflexions juridiques.

Thérèse Locoge - Université Libre de Bruxelles, Ecole de Santé Publique, Centre de recherche en Economie de la Santé, Gestion des Institutions de Soins et Sciences Infirmières, Directeur juridique du CHU BXL

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Introduction.

Dans le monde hospitalier, la protection du patient contre les risques est une préoccupation constante. Les risques peuvent être de multiples origines : biologiques, chimiques, électriques, liés aux radiations, à l’organisation de l’hôpital, au choix et à l’emploi d’équipements à titre d’exemple.

Dans cette contribution, nous allons nous concentrer, période automnale oblige, sur les obligations qui pourraient incomber à l’hôpital ou à son personnel, pour protéger le patient d’une contamination par le virus très contagieux de la grippe. Plus particulièrement, nous allons tenter de déterminer si l’hôpital peut encourir une responsabilité juridique en cas de maladie grippale d’un patient contaminé par un membre du personnel non vacciné. Cette question concerne principalement les unités de soins car les contacts y sont plus prolongés et donc le risque de contamination plus avéré. Nous partirons de l’hypothèse qu’il peut être démontré, par le patient (ou ses ayants-droits en cas de décès), un lien causal certain et exclusif entre sa contamination par le virus de la grippe et la non vaccination du travailleur qui est en contact avec lui (et sauf contre-indication médicale dans le chef de ce dernier). En effet, il peut y avoir d’autres sources de contamination : des visiteurs, d’autres patients ou des facteurs organisationnels. Par ailleurs, en milieu hospitalier, cette question est plus aiguë car il est peu fréquent que le patient soit vacciné contre la grippe à la différence par exemple du résident dans une maison de repos ou de repos et de soins. Enfin, nous allons voir que l’intérêt de cette analyse réside dans le fait que la vaccination contre la grippe n’est pas obligatoire en milieu professionnel.

L’étude de cette question va nous amener à devoir concilier deux régimes juridiques distincts : celui de la protection de la santé au travail du travailleur et celui relatif à une obligation de sécurité lors de l’administration des soins à l’égard du patient.

Ces deux régimes sont animés d’objectifs distincts. D’une part, l’employeur a l’obligation de préserver la santé du travailleur compte tenu des risques que celui-ci peut encourir vu son poste de travail. La vaccination du travailleur est une mesure de protection du travailleur vis-à-vis d’un patient contaminant. D’autre part, le patient doit être protégé contre une altération de son état de santé dont l’origine est distincte de son affection initiale. La vaccination du personnel est alors altruiste en faveur de la protection de la santé du patient.

L’hôpital doit donc faire face à ses obligations, de nature différente en tant qu’employeur et en tant que dispensateur de soins. En outre l’employeur peut convenir de différents types de relations de travail avec son travailleur : le statut public (nomination), le salariat, la convention d’entreprise, ce qui a une incidence sur le traitement de cette question. En effet, l’employeur a davantage de responsabilités vis-à-vis de travailleurs nommés ou salariés tant dans le cadre de leur protection au travail que dans le cadre de la responsabilité dont il répond vis-à-vis des tiers et donc des patients. Nous y reviendrons.

Avant de passer à l’examen juridique de ces questions, il est judicieux de préciser que la question d’une responsabilité éventuelle n’a de sens que si la vaccination contre la grippe reste recommandée sur le plan scientifique. En effet, la vaccination est un acte médical, de nature préventive qui porte atteinte à l’intégrité physique du travailleur. Elle ne peut donc être encouragée ou imposée que si elle est adéquate pour empêcher ou restreindre une contamination. A défaut de remplir ces conditions il serait, tout au contraire, fautif dans le chef de l’employeur de la promouvoir. La communauté scientifique évalue régulièrement ces questions ; nous nous référons à cet égard au dernier avis du Conseil supérieur de la Santé belge de juillet 2015 qui fixe pour la vaccination contre la grippe saisonnière 2015-2016, en 2ème priorité, après les personnes à risque de complications, le personnel du secteur de la santé (1). C’est dire qu’elle reste recommandée actuellement.

La protection au travail.

En vertu de différentes sources juridiques (2) l’employeur a l’obligation de préserver la santé de ses travailleurs.

Plusieurs législations concrétisent cette obligation juridique et principalement la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail et ses arrêtés d’exécution (législation pénale). Son champ d’application est large puisqu’il s’applique à tout employeur public ou privé et à l’égard de tout travailleur statutaire, salarié, étudiant ou stagiaire. Celui-ci peut être étendu, par arrêté royal, à d’autres personnes, notamment les travailleurs indépendants, qui se trouvent sur le lieu de travail.

L’article 4 de cette loi prévoit explicitement la protection de la santé au travail par des mesures réglementaires qui ont un effet obligatoire aussi bien à l’égard de l’employeur que du travailleur. Selon cette approche, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour notamment « éviter les risques, combattre les risques à la source, limiter les risques » (article 5). Son arrêté d’exécution, du 27 mars 1998 prévoit ainsi l’obligation de prendre des mesures de prévention pour « éviter les risques, éviter les dommages et limiter les dommages ». Par ailleurs, chaque travailleur doit prendre soin, selon ses possibilités, « de sa santé ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes, conformément à sa formation et aux instructions de son employeur » (article 6). Cette obligation qui pèse sur le travailleur, mais qui ne peut mener, en cas d’irrespect, à une incrimination pénale dans son chef, se traduit essentiellement, selon ses possibilités, sa formation, et les instructions de l’employeur, à utiliser correctement les outils de travail et les équipements de protection, à ne pas mettre en péril les dispositifs de sécurité, à signaler et à coopérer avec l’employeur en cas de danger.

Cette protection s’effectue notamment par la surveillance médicale qui poursuit plusieurs objectifs et notamment :
– Permettre l’adaptation du travail au travailleur et non l’inverse,
– Eviter l’occupation d’un travailleur dont l’état de santé ne permet pas de supporter les risques du travail,
– Eviter l’admission d’un travailleur atteint d’une affection grave transmissible ou qui représente un danger pour la sécurité d’autres travailleurs,
– Dépister les maladies professionnelles et les affections liées au travail, renseigner et conseiller les travailleurs (3).

Les décisions qui seront prises pour rencontrer ces objectifs se fondent sur l’analyse des risques du poste du travail (soit l’analyse du contenu du travail, de ses risques et de son environnement) et prennent en compte la qualification du poste de travail tel que prévue dans l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs : en effet, les règles sont différentes suivant que le poste est un poste de sécurité, de vigilance, à risque défini ou lié aux denrées alimentaires (cette dernière référence sera supprimée au 1/01/2016).

Dans le milieu hospitalier, tous les postes de travail en contact avec les soins répondent à ces définitions : le poste de sécurité ou de vigilance met l’accent sur la possibilité d’une mise en danger de la santé et de la sécurité d’autres travailleurs (mais pas des tiers et donc pas des patients) ; l’activité à risque défini expose à un risque identifiable dû, par exemple, à l’exposition à un agent biologique comme le virus de la grippe.

Si un travailleur est atteint d’une maladie transmissible (acquise le plus souvent sur le lieu du travail), des mesures seront prises par l’hôpital, en sa qualité d’employeur, pour éviter qu’il ne contamine ses collègues (et donc sans prise en compte directe des intérêts des patients). Cette information médicale est détenue par le conseiller en prévention-médecin du travail (pour les travailleurs statutaires et salariés) et ne peut être communiquée à l’employeur pour éviter toute stigmatisation et dans le souci de maintenir le plus possible l’emploi. Le médecin du travail n’avertira celui-ci que des conséquences de cette maladie sur l’exercice de l’emploi : aptitude avec un régime de temps de travail adapté, maintien au poste de travail avec recommandations, écartement du poste, inaptitude médicale. Ces recommandations sont mises en œuvre par l’employeur par le port des mesures de protection (ex : port de double gants, de masques) ou par une réaffectation à un autre poste ne présentant plus ce risque et, à titre exceptionnel, par l’écartement définitif de l’hôpital à défaut de trouver pareille fonction ou parce que celle-ci n’y est pas vacante. La protection du patient est alors assurée indirectement et partiellement lors de l’adoption de ces mesures. Indirectement car l’objectif premier reste la protection du travailleur, partiellement car ces mesures ne s’appliquent pas légalement au travailleur indépendant.

Pour un travailleur grippé, ces mesures liées au poste de travail ne seront pas d’application car la grippe est une maladie curable et passagère. Le patient ne pourra donc y trouver une source de protection. Sa protection sera alors assurée soit par le congé de maladie du travailleur dès qu’il est symptomatique c’est-à-dire dès qu’il tousse soit par des mesures de protection classiques mais de moindre efficacité : le port du masque et la désinfection des mains. Là aussi la différence de statut peut emporter une restriction de protection pour le patient : le travailleur indépendant n’est pas rémunéré (en vertu de la législation en vigueur) pendant son congé de maladie et il peut donc être tenté de ne pas le prendre.

Pour éviter une contamination du travailleur, lorsqu’il existe un vaccin, la vaccination peut être juridiquement recommandée ou obligatoire.

La vaccination contre la grippe, notamment dans les hôpitaux, n’est pas obligatoire en Belgique n’étant pas reprise dans l’AR du 4/08/1996 concernant la protection des travailleurs liés à l’exposition à des agents biologiques au travail. Cet AR a le même champ d’application que celui de la loi du 4/08/1996 et est une des mesures réglementaires prévues par l’article 4 de cette loi (cf supra). Il s’applique aux activités de soins mais pas, de manière générale, à la protection à l’égard d’un collègue contagieux. Le virus influenza est classé dans le groupe 2 (sur 4) par l’annexe à cet arrêté royal ce qui signifie, suivant l’article 4, « un agent qui peut provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les travailleurs ; sa propagation dans la collectivité est improbable ; il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace ».

La Belgique ne fait pas exception : à titre d’exemple, la France a, le 14/10/2006, suspendu l’obligation vaccinale contre la grippe. Le Haut Conseil de la Santé publique français a été saisi, en 2013, d’une question du Ministère des Affaires Sociales et de la Santé sur la place de la vaccination des professionnels de la santé dans la stratégie de prévention de la grippe. Il a rendu son rapport en mars 2014 intitulé « grippe saisonnière vaccination des personnes âgées et vaccination des personnels soignants ». Dans celui-ci il met en évidence que l’évaluation de l’efficacité du vaccin contre la grippe est complexe. Les études actuelles ne permettent pas de manière certaine d’appuyer une recommandation d’une vaccination obligatoire (4).  

L’employeur n’est donc pas fautif en n’imposant pas la vaccination à ses travailleurs et sa responsabilité ne peut donc être recherchée sur cette base.

Il a toutefois l’obligation de donner la possibilité à ses travailleurs de se faire vacciner lorsqu’ils ne sont pas immunisés (article 44). Le conseiller en prévention-médecin du travail assume cette obligation d’information des travailleurs salariés et statutaires, préalablement à l’exposition, quant à la disponibilité d’un vaccin efficace, aux avantages et inconvénients de la vaccination ou de la non vaccination.

L’employeur a un rôle réel à assumer. Ce Rapport du haut Conseil de la Santé publique français met en évidence comme déterminants de la vaccination des soignants les éléments suivants : la protection de soi, la protection du patient, la vaccination gratuite et accessible, l’exemple des pairs et la vaccination antérieure. L’employeur doit aussi s’assurer que cette obligation d’information est adaptée aux connaissances du professionnel de la santé. L’obligation d’information sur les perceptions négatives du vaccin ou sur la perception erronée des risques de la grippe doit être adaptée au public cible. L’employeur peut aussi favoriser la vaccination par une bonne organisation de celle-ci, répétée d’année en année lors de la mise en place de la campagne pour éviter qu’un travailleur n’y renonce trop vite faute d’accès suffisant. La possibilité d’effectuer la vaccination dans l’hôpital, voire dans des lieux proches ou même dans des unités de soins , à des heures qui correspondent à la vie des unités de soins, de jour comme de nuit, la gratuité du vaccin, la promotion de celui-ci sont des éléments incitatifs importants dont la réalisation permet à l’employeur de démontrer qu’il a mis en place les mesures les plus favorables. Il y est aidé car, lors d’une campagne de vaccination au travail, aux fins de prévention des maladies contagieuses, le pharmacien peut délivrer des vaccins à la médecine du travail (article 26 quater de l’AR du 31/05/1885).

L’employeur doit répondre à deux contraintes importantes : il doit respecter, d’une part, le libre choix du travailleur et ne pas le soumettre à une pression excessive puisque celui-ci a le choix de se faire vacciner ou pas. Le personnel doit pouvoir refuser sans devoir rendre compte de sa motivation et sans que cela ne lui porte préjudice dans la relation de travail. D’autre part, l’employeur doit respecter la confidentialité de la vaccination qui est une donnée de santé qui est conservée par le conseiller en prévention médecin du travail et ne peut être communiquée à l’employeur. La frontière est parfois ténue car certaines mesures d’organisation peuvent concourir plus difficilement au maintien de cette étanchéité entre employeur et médecin du travail : notamment les vaccinations dans les unités de soins, pour éviter au personnel de se déplacer, à des heures convenues pour lui éviter de perdre son temps présentent alors un caractère plus collectif. L’employeur peut aussi décider de soumettre les travailleurs indépendants à la médecine du travail en les y affiliant ce qui renforce la protection de chacun. Cette décision a pleinement son sens dans un milieu à risques comme l’hôpital dans lequel les virus ne font pas la différence suivant la nature de la relation de travail ou la qualité de la personne à protéger.

Pareille attitude volontariste de l’employeur amènera largement à ce qu’un patient contaminé n’ait guère de chances de voir aboutir une action en dédommagement devant un tribunal, sur base des obligations de l’employeur en matière de protection de la santé.

Dans cette approche, comme nous venons de l’examiner, la priorité est donnée aux droits du soignant et la protection du patient n’est qu’un bénéfice induit. Le patient pourrait alors être tenté de s’enquérir du statut vaccinal du travailleur qui va le prendre en charge et refuser, en cas de non vaccination, d’être traité par lui (5). Plusieurs raisons de droit ou de fait s’opposent à cette communication. Tout d’abord, l’hôpital ne peut pas communiquer des données de santé de ses travailleurs à des patients pour plusieurs motifs : ce sont des données confidentielles et qui relèvent de la vie privée du travailleur. Il ne peut pas les détenir puisque c’est la médecine du travail qui a cette compétence. La loi du 28/01/2003 relative aux examens médicaux dans le cadre des relations de travail prévoit, en son article 3, que les tests biologiques, examens médicaux ou collectes d’informations orales, en vue d’obtenir des informations médicales sur l’état de santé du travailleur ne peuvent être effectuées pour d’autres considérations que celles tirées des aptitudes actuelles et des caractéristiques spécifiques du poste à pourvoir. En outre, à supposer même que l’employeur détiendrait cette information grâce au consentement du travailleur, ce consentement est réputé non valable par l’article 27 de l’AR du 13/02/2001. En effet ce consentement est inopérant si c’est l’employeur qui procède au traitement de ces données médicales et ce pour protéger le travailleur d’un risque de pression de l’employeur. Enfin, cette demande du patient ne pourrait en fait, pour être efficace, être dirigée vers un seul travailleur ; à l’heure d’une médecine pluridisciplinaire, avec de nombreux intervenants cela reviendrait en fait à le demander à l’ensemble des travailleurs de l’hôpital ce qui serait excessif par rapport au risque de contamination encouru. Cette communication entraînerait, enfin, un risque de stigmatisation du travailleur et une atteinte disproportionnée à l’exercice de son activité professionnelle.

La sécurité du patient lors de son séjour à l’hôpital.

Il est traditionnellement reconnu que les obligations relatives à la prise en charge clinique du patient sont de moyen et non de résultat. Cela signifie que l’obligation n’est pas de guérir le patient mais bien de le traiter suivant les normes du professionnel consciencieux, diligent et suivant les bonnes pratiques reconnues. Dans certains secteurs d’activité, cette obligation de moyen peut se transformer en une obligation de résultat. C’est le cas lorsque l’activité ne comporte en fait pas ou peu d’aléa : le résultat doit être atteint. Un exemple peut être le décompte des compresses après une opération chirurgicale.

Si donc le patient ne peut revendiquer un droit de sortir guéri de l’hôpital, ne peut-il pas exiger d’être indemnisé pour y avoir contracté une maladie par contamination lors de son séjour ? Avant la loi du 31 mars 2010 relative à l’indemnisation des dommages résultant des soins de santé, une partie de la jurisprudence et de la doctrine ont mis en avant une obligation de sécurité à charge de l’hôpital, accessoire à l’obligation de soins, en matière d’infections nosocomiales exogènes (c’est-à-dire indépendante de l’état de santé du patient)(6). Pour s’en exonérer, l’hôpital devait mettre en avant une cause étrangère c’est-à-dire un cas de force majeure ou une faute dans le chef du patient ce qui était extrêmement difficile et donc de peu d’application. Le risque était donc mis en fait à charge de l’hôpital. L’autre partie de la jurisprudence était restée fidèle aux principes classiques de la responsabilité en considérant que si le patient ne pouvait démontrer une faute en lien avec son dommage il devait supporter ce risque d’infection inévitable de l’existence duquel il devait d’ailleurs être conscient lorsqu’il se faisait traiter dans un hôpital.

Depuis, cette loi du 31 mars 2010 a vocation à indemniser un dommage éprouvé par un patient, soit sur base d’une faute soit au titre de la solidarité nationale, en raison d’un accident médical sans responsabilité. Cet accident est lié à une prestation de soins de santé, qui n’engage pas la responsabilité d’un prestataire de soins, qui ne résulte pas de l’état du patient et qui entraîne pour celui-ci un dommage anormal. Le dommage anormal est celui qui n’aurait pas dû se produire compte tenu de l’état actuel de la science, de l’état du patient et de son évolution objectivement prévisible. C’est le Fonds des accidents médicaux qui assure les missions d’instruction et d’indemnisation si les conditions liées à l’aléa médical sont réunies.

L’exposé des motifs de cette loi prévoit le régime applicable aux infections nosocomiales dont la grippe saisonnière : soit l’infection trouvera son origine dans la responsabilité d’un prestataire de soins soit dans un accident médical sans responsabilité. Dans ce dernier cas, moyennant le seuil de gravité requis, le dommage intégral provenant d’une grippe que le patient n’avait pas à encourir sera indemnisé. Un seul des critères de gravité prévus doit être rempli : une invalidité permanente d’un taux égal ou supérieur à 25%, une incapacité temporaire de travail au moins durant 6 mois consécutifs ou 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois, des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans les conditions d’existence du patient et enfin son décès. Dans l’hypothèse que nous traitons c’est le décès du patient qui pourrait le plus vraisemblablement amener l’intervention du Fonds. Au vu des missions dévolues au Fonds, le patient, ou, en cas de décès, son ayant droit aura intérêt à le saisir. Celui-ci, dans le cadre de l’examen de la demande d’indemnisation du patient, pourra soit estimer qu’il y a une responsabilité pour faute dans le chef du prestataire de soins et référer vers la Compagnie d’assurances de celui-ci pour une offre d’indemnisation ; soit estimer qu’il n’y a pas de faute mais bien accident sans responsabilité dont le critère de gravité est atteint et qui permet la réparation intégrale du dommage ; soit aucun critère de gravité n’est atteint, le dommage n’est pas indemnisable et le Fond n’interviendra pas. L’indemnisation dans ce cas parait alors donc bien exclue puisqu’elle ne pourra pas non plus être obtenue par le recours en justice à défaut de faute du prestataire (7). L’exposé des motifs (Chambre 2009-2010 Doc 522240/001 page 28) le confirme : « le Fond n’a donc pas pour vocation d’indemniser les infections qui ont simplement pour conséquence de prolonger l’hospitalisation de quelques jours. Il est par ailleurs évident que la prévention reste l’arme la plus efficace contre les infections nosocomiales ».

Avant donc de faire appel à la solidarité nationale dans les conditions fixées, le patient (ou ses ayants droits) devra donc examiner s’il peut démontrer une faute pour obtenir réparation de son dommage (aussi intégral) en cas de contamination du fait d’un travailleur non vacciné. A quelles dispositions peut-il faire appel ?

L’article 17 de la loi du 3 juillet 1978 (cf note 2) qui réfère à la protection des tiers impose au travailleur salarié une obligation de ne pas nuire. Cette obligation peut être traduite conventionnellement pour le travailleur indépendant ou reprise dans le statut administratif pour le travailleur statutaire. Elle a une portée juridique plus forte que l’article 6 de la loi du 4/08/1996 qui restreint l’obligation du travailleur de prendre soin de la santé d’une personne concernée non autrement définie, suivant ses possibilités et dans des cas de figure explicitement décrits ci-avant. Tout soignant, quelle que soit la nature de sa relation de travail, a une obligation personnelle à sauvegarder la santé et la vie de ses patients. En l’absence toutefois d’une obligation à se faire vacciner, il n’y a pas de fondement juridique suffisant pour engager, sur cette seule base, et à l’exclusion de toute autre faute, la responsabilité du travailleur non vacciné ou de son employeur. Il en sera autrement si un travailleur avec symptôme grippal ne prend pas les mesures nécessaires pour éviter toute contamination (Cf. supra). Le travailleur ne peut pas non plus adopter une attitude désinvolte, manquer à son devoir de prudence et il doit suivre les recommandations de l’employeur, comme le port d’un masque. Il semble que cette obligation n’est pas suivie correctement par les soignants : toujours selon le rapport du haut Conseil de la santé publique (page 23), « le risque nosocomial, induit par les soignants, est renforcé par le fait qu’entre 50 à 80% des soignants continuent à travailler quand ils sont infectés ». A l’égard des tiers, le travailleur statutaire ou salarié n’encourt une responsabilité personnelle que du fait de sa faute légère et habituelle (c’est-à-dire non accidentelle) ou en cas de faute lourde (8). La faute lourde est la faute inexcusable tant par sa gravité intrinsèque que par l’importance sociale de la valeur protégée. Un travailleur qui a la grippe et qui continue à travailler commet-il une faute légère habituelle (qui exige donc une certaine répétition) ou peut-elle être qualifiée de lourde immédiatement ? Cela dépendra de la règlementation interne prévue (règlement du travail, statut administratif) et des circonstances de la faute du travailleur : est-ce que son attention a été attirée sur ce comportement à adopter ? Sur les conséquences en cas de non- exécution de sa part ? Travaille-t-il dans une unité dans laquelle des personnes plus vulnérables sont hospitalisées ? La balance, en l’absence d’éléments déterminants penchera vers la responsabilité de l’employeur à l’exclusion de celle du travailleur. Pour le travailleur indépendant, l’article 30 de la loi coordonnée sur les hôpitaux du 10/07/2008 met à charge de l’hôpital l’obligation de veiller à ce qu’il respecte les droits du patient. L’hôpital ne pourra s’en départir que s’il a communiqué au patient, explicitement et préalablement, suivant une procédure fixée qu’il ne peut être tenu pour responsable vu la nature indépendante de la relation de travail. La volonté du législateur est de rendre plus difficile l’exonération de responsabilité de l’employeur tant cette notification au patient est difficile à réaliser dans la pratique (arrêté royal du 21 avril 2007). D’ailleurs, les patients peuvent être aussi admis en urgence, sans formalités d’admission préalables lors desquelles cette notification est justement faite (même s’il est prévu que dans ce cas l’hôpital agit dès que possible).

Pour éviter cette responsabilité, l’hôpital pourrait-il notifier au patient un certain nombre de risques, qu’il accepterait, ce qui lui permettrait de se dégager de sa responsabilité ? Plusieurs arguments tant de fond que de faisabilité s’opposent à cette tentation de reporter sur le patient la responsabilité d’un risque auquel il aurait alors consenti. Tout d’abord l’hôpital a la responsabilité de la gestion de l’ensemble de ses risques et ne peut la détricoter en exigeant de ses patients et travailleurs qu’ils renoncent à leur protection légale. Ce risque qui est reporté sur le patient est d’une nature différente de celui lié à une intervention de santé : en effet, lorsqu’un médecin communique à son patient les risques d’un traitement ou d’une intervention, il se base sur les données de la science et sur l’état de santé de son patient. Le patient choisit d’accepter ou de refuser cet aléa médical lié à l’intervention.   Si l’information a été lacunaire le patient pourra d’ailleurs faire valoir son droit à réparation (le dommage d’impréparation étant reconnu depuis peu) (9). Par contre s’agissant d’une notification d’un risque global et général, soit le taux d’infection nosocomiale, même si c’est fait par service, le patient ne peut en connaître les causes d’ailleurs éventuellement fautives (10). Il n’a que peu de prise sur la signification réelle de cette information : c’est une donnée qui prend surtout du sens par comparaison à celle d’autres hôpitaux et qui impose, pour permettre cette comparaison, une méthodologie partagée entre hôpitaux, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Le patient n’a donc aucun intérêt à exonérer l’hôpital de ce risque et à signer une décharge de responsabilité. La signerait-il qu’il faudrait s’interroger sur sa validité. La relation apparaîtrait comme tellement déséquilibrée entre l’hôpital qui y a un intérêt majeur et le patient qui n’en a aucun qu’il faudrait s’interroger sur les conditions dans lesquelles l’hôpital aurait recueilli ce consentement et se demander s’il a été réellement libre et éclairé.

Enfin, pour rendre possible l’éventuelle mise en cause d’une responsabilité ou permettre l’indemnisation en cas d’accident médical une question se pose : le patient doit-il être informé de sa contamination et de son origine ? Si les réponses sont positives ces informations vont considérablement l’aider dans la charge de la preuve de l’origine de son dommage. La loi sur les droits du patient du 22 août 2002 consacre le droit du patient à des soins de qualité ainsi qu’à celui d’être d’informé sur son état de santé. Lorsqu’il présente une grippe, même sans lien avec son affection initiale, on ne voit pas pourquoi l’information sur son état de santé devrait être restreinte. Par contre, la recherche de la cause d’une contamination par le virus de la grippe, surtout lorsqu’elle a n’a pas un caractère de gravité important n’est pas exécutée habituellement et requerrait des autorisations et des moyens dont l’hôpital ne dispose pas comme rechercher si des visiteurs n’étaient pas grippés lors de leur visite au patient. Cette information n’est donc pas disponible.

Vers une conciliation possible.

Reprenant cette référence à la prévention, il pourrait être tenté de dégager une nouvelle voie d’action, étroite au vu des législations contraignantes, qui sans porter atteinte aux droits des soignants permettrait de prendre aussi en compte les intérêts des patients à tout le moins les plus vulnérables face aux conséquences d’une grippe. L’hôpital pourrait ainsi déterminer des lieux d’hospitalisation où ils séjourneraient et seraient alors pris en charge par du personnel vacciné, sur base volontaire et donc quelle que soit la nature de la relation de travail, ou au moins porteur systématiquement d’un masque. C’est alors une mesure à double efficacité, le masque est un outil de travail qui protège le patient et est aussi un équipement de protection individuel qui protège le travailleur. Cette proposition répond au principe de proportionnalité en n’imposant pas à chaque travailleur de l’hôpital le port du masque. Cette approche doit être étudiée notamment par les services internes ou externes de prévention et de protection au travail (SIPP et SEPP), l’équipe d’hygiène hospitalière et discutée avec les organisations syndicales avant d’être décidée par les organes de décision de l’hôpital. Il faut aussi soulever que l’observation de moyens simples de précaution comme porter un masque protecteur, se laver les mains ou changer de paire de gants après un soin demeurent les mesures les plus efficaces en tant que mesures collectives de protection du patient. La vaccination est un renfort de celles-ci.

Références.

(1). Conseil Supérieur de la santé : avis n° 9296. Vaccination contre la grippe saisonnière, saison hivernale 2015-2016 page 2.   www.css-hgr.be
(2)a. Article 1134 du Code Civil : les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

               Article 1135 du Code Civil : les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature.

  1. Loi du 3/07/1978 sur les contrats de travail :

                       article 16 : l’employeur et le travailleur se doivent le respect et des égards mutuels. Ils sont tenus d’assurer et d’observer le respect des convenances et des bonnes mœurs pendant l’exécution du travail.
                       Article 17 : le travailleur a l’obligation (…) 4°) de s’abstenir de tout ce qui pourrait nuire, soit à sa propre sécurité, soit à celle de ses compagnons, de l’employeur ou de tiers
                       Article 20 : l’employeur a l’obligation(…) 2°) de veiller en bon père de famille à ce que le travail s’accomplisse dans des conditions convenables au point de vue de la sécurité et de la santé du travailleur (…)
                      Article 25 : toute clause par laquelle l’employeur se réserve le droit de modifier unilatéralement les conditions de travail est nulle.

(3). AR du 28/05/2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs : article 3.
(4). Haut Conseil de la santé publique (France). Efficacité de la vaccination contre la grippe saisonnière chez les personnes âgées et les professionnels de la santé, collection avis et rapports, mars 2014 pages 27 et 36.
(5). J. Ter Heerdt : « de ongeloofdheid van een ongevraagde hiv-test bij een aanstellingskeuring en de gevolgen van een hiv-specifiek onstlag » Rev Doit Santé 1998-1999 p.49
            Dr J. Mornat Virus, médecin, malade. Rapport adopté par le Conseil national de l’Ordre des médecins 2005 p.7.
            F.Raffi les professionnels de la santé infectés par le VIH font-ils courir des risques à leurs patients ? Rev critique de l’actualité internationale sur le VIH et les virus des hépatites n°2 janvier 1992
            HUG (Hôpitaux universitaires de Genève) Conseil d’éthique clinique Attitude vis-à-vis des médecins et des soignants potentiellement infectieux pour les malades (HIV,HBV ou C positifs) 2005 p.6.
            Office fédéral de santé publique (Suisse). Recommandations pour le personnel de santé infecté pat le virus de l’hépatite B, de l’hépatite C ou de l’immunodéficience humaine : prévention du risque de transmission aux patients. Septembre 2013 p.3 et 15.
(6). G. Genicot «  Infections nosocomiales :  la responsabilité au milieu du gué » JLMB 2010 p.755 et s.
            Trib 1ère instance BXL, 28/01/2014, Rev Dt Santé 2014-2015 p.133 et s.
           C.Lemmens « Het al dan niet vermijdbaar karakter van nocomiale infecties et de impact daarvan op de verbintenissen van de zorgverlener »Rev Dt Santé 2012-2013 p.369 et s.
(7). G. Genicot « le nouveau régime belge d’indemnisation des dommages résultant de soins de santé «  RGDM mars 2011 p.279
       I. Boone et S.Lierman Vergoeding van slachtoffers van medische ongevallen p.29 Intersentia 2011.
(8). Loi du 3/07/1978: article 18
            Loi du 10/02/2003 relative à la responsabilité des et pour les membres du personnel au service des personnes publiques : article 2.
(9). G. Genicot « Tours d’horizon de quelques acquis et enjeux actuels » Nouveaux dialogues de droit médical CUP 2012 P. 15 Anthemis.
(10). J-L Fagnart Actualités de droit médical. Information du patient et responsabilité du médecin. P.75, 2006 Bruylant.

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